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nisé par des chasses qui duraient huit jours et se terminaient par une flagellation et une orgie générales.

Chaque adulte apparié à un compagnon de son choix, un Adelfopeiton, comme disaient les Grecs, l’étrillait d’importance avec une poignée de verges et était étrillé par lui. Cette flagellation, qui durait quelques heures, n’était que le début de la cérémonie.

Pendant que les hommes se fouettaient de la sorte, les jeunes femmes préparaient un vin de circonstance avec les drupes du palmier Assahy. De leur côté, les vieilles femmes, à qui ce soin incombait, torréfiaient et broyaient les cotylédons du Parica, dont la poudre odorante était employée par les Muras en guise de tabac. À l’aide d’un appareil à priser du genre de celui que nous avons trouvé chez les Antis et leurs voisins de la Plaine du Sacrement, les acteurs de la fête s’emplissaient mutuellement les narines de la poudre en question, tout en vidant force cruchons de vin d’Assahy. Quand leurs fosses nasales étaient bourrées jusqu’à l’orifice et leurs estomacs pleins comme des outres, les Muras passaient à un autre exercice.

La troupe se divisait par escouades de douze hommes. Chaque escouade s’établissait dans une hutte séparée, et les individus s’asseyaient en rond sur le sol. Alors les vieilles femmes apportaient, avec une chaudière pleine d’infusion de Parica, certain ustensile en figure de poire, auquel était adaptée une canule de roseau. Cette poire, fabriquée avec la séve de l’Hevœa, durcie à la fumée et dont les Umaüas passent à tort ou à raison pour les malencontreux inventeurs, était remplie par les vieilles femmes d’infusion de Parica et présentée à chaque assistant qui, s’en servant comme d’une seringue, en pressurait les flancs jusqu’à parfait épuisement du liquide qu’elle contenait. La poire banale, tour à tour remplie et vidée, ne cessait de faire le tour du cercle que lorsque l’abdomen des individus, tendu comme un tambour, menaçait de se rompre.

Cette solennité farouche, appelée Parané, ne manquait pas de faire des victimes. Par suite de la quantité de Parica qu’ils avaient reniflée, du vin qu’ils avaient bu et de l’infusion qu’ils avaient absorbée, quelques Muras, trop ballonnés, éclataient comme des obus au milieu de la fête. Ceux qui parvenaient à se dégonfler, dansaient et folâtraient encore pendant vingt-quatre heures, puis chacun d’eux regagnait sa demeure et tout rentrait dans l’ordre accoutumé.


Familles d’Ega à la recherche des œufs de tortues.

Une cérémonie à peu près semblable avait lieu chaque année chez les Umaüas à l’occasion de leur grand jeûne expiatoire. À l’emploi du Parica comme poudre sternutatoire et comme laxatif, ils substituaient — nous l’avons dit déjà — celui de l’Acacia-Niopo, dont les Mesayas, derniers représentants de la nation Umaüa, se servent encore aujourd’hui.

Un beau matin, en déjeunant des dernières poignées de farine de manioc qui nous fussent restées, je constatai avec stupeur que dix-sept jours s’étaient écoulés depuis notre sortie d’Ega. De ces dix-sept jours, six avaient été employés à remonter la baie de l’Arênapo jusqu’au Japura et à la descendre jusqu’à San-Mathias-Tapera ; deux jours s’étaient passés en causeries avec les vieux métis et leur serviteur Mesaya ; les neuf jours restants avaient été dépensés en allées et venues, en marches et en contre-marches dans les igarapés, les canaux et les lacs qui couvrent le pays entre le Japura et le Rio Negro et relient l’une à l’autre ces deux rivières. Ce voyage épisodique, coupé par des haltes et des distractions variées, depuis la pêche à l’hameçon jusqu’à la recherche du cacao sylvestre dont les filaments glaireux nous procuraient une limonade excellente, ce voyage, s’il avait flatté mes instincts de vagabondage, avait épuisé mes provisions de route qu’il devenait urgent de renouveler. En conséquence, je donnai l’ordre à mon pilote Mirañha de rentrer dans l’Amazone par un bras quelconque du canal Copeya et de gagner Ega dans le plus bref délai.

Le lendemain soir seulement, nous atteignîmes l’entrée extérieure du goulet du lac de Teffé. Deux heures après, nous débarquions devant sa bourgade. Je la trouvai plus morne et plus silencieuse qu’au jour de mon départ. Les portes et les volets de la plupart de ses maisons étaient hermétiquement clos et aucun filet de lumière ne brillait à travers leurs joints. Un passant