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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/286

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Llewellyn, avait tenté d’exclure son frère pour rester seul prince, et probablement, s’il eût réussi, c’est Llewelyn qui eût été le prisonnier. Pendant les dernières guerres de l’indépendance, Owen resta confiné dans cette tour, abandonné de tous excepté de son barde, qui composa sur sa captivité une ode awdl, qui rappelle singulièrement celle du trouvère sur Richard Cœur de Lion.

« De cette hauteur, les plaintes d’un captif me sont portées par la brise.

« Là, enchaîné, abandonné, gît Owen, et je vis encore pour raconter cette histoire, pour dire comment cette tour est devenue la tombe vivante d’Owen, d’après l’ordre de son frère.

« J’errais au milieu de ces tristes montagnes, me lamentant sur mon héros absent, quand des sons douloureux ont frappé mon oreille. Je me suis arrêté, et j’ai frémi ; car dans la voix que j’aimais je crus reconnaître le chant de mort d’Owen.

« D’une naissance royale et puissante, élevé en courage et en belles actions, quel Saxon osait envahir notre terre, ou tirer l’épée, quand il était là ? À la guerre on le reconnaissait à son bouclier brisé. Comme le grand Roderic il ne cédait jamais.

« Les portes de son palais ne s’ouvrent plus, on n’entend plus la harpe dans sa grande salle, ses amis sont vassaux de ses ennemis, le malheur et le désespoir l’ont anéanti.

« Lui, le bon, le juste, il n’est plus ; son nom, sa gloire, tout s’est envolé en fumée.

« Il n’estimait les trésors que pour les donner. Il n’aimait que les États libres. Personne ne le quittait mécontent. Il donnait à tous, surtout à moi !

« Ses lèvres étaient roses comme la lumière du matin, sa lance toujours prête était ferme et brillante ; des taches rouges y brillaient et témoignaient de la défaite du Saxon.

« C’est une honte qu’un prince pareil demeure ainsi exilé et captif. Oh ! combien d’années de honte sans fin obscurciront le nom du seigneur du Snowdon ! »

David Goch, le plus jeune frère de Llewelyn, qui s’était joint à la conspiration d’Owen, fut emprisonné à Dolbadarn, mais il s’échappa, et on le considéra longtemps comme traître pour s’être allié à Édouard Ier, qui lui donna des terres et des domaines. Il abandonna ensuite les Anglais pour revenir à la cause nationale. Llewelyn lui ayant pardonné, il joignit ses troupes à celles de son frère, et, longtemps, il harassa Édouard par son courage obstiné. Llewelyn cependant fut vaincu par Édouard, qui le traita d’abord avec générosité, croyant ainsi gagner les Gallois ; mais Édouard fut déçu de son attente. La haine des Anglais était un legs sacré, transmis de génération en génération, et il n’était pas un Gallois, prince ou paysan, qui se résignât à sacrifier l’indépendance de son pays. De Dolbadarn, je me dirigeai vers la cascade de Ceunant Mawr, ou la chute de la grande tranchée.

Dans les environs s’est passé l’événement qui a inspiré à Miss. G. Wilkinson son poëme de l’Enfant égaré du mont Aœlia. Il avait sept ans, et avait été confié aux soins de sa grand-mère, qui vivait au milieu des montagnes de Nant-y-Bettws. Sa mère vint le voir, et, quand elle le quitta, le cœur du pauvre enfant se gonfla au souvenir de ses frères et de son père qui l’aimait tant. Il résolut de suivre sa mère à Llanberis, et marcha derrière elle sans la perdre de vue pendant qu’elle traversait les montagnes. La nuit descendit, et le ciel devint sombre, puis la neige commença à tomber à gros flocons ; la mère s’entoura de son manteau et pressa le pas. L’enfant ne la voyant plus, et l’ombre devenant de plus en plus épaisse, il eut peur et jeta de grands cris, mais le vent seul lui répondit. Une fois, dans les hurlements de l’orage, la mère crut entendre sa voix, mais pensant que c’était une idée folle, elle continua de marcher jusqu’à son cottage où elle arriva trempée et glacée. Quelques jours se passèrent, et la grand’mère s’inquiétant, on fit des recherches et on trouva le corps du pauvre petit sur le bord d’un précipice, près du mont Aœlia.

L’église et le village de Llanberis sont à peu de distance du lac de Saint-Péris. Ce nom est celui d’un vénérable personnage dont le puits prédisait l’avenir par le secours d’un poisson d’argent qui apparaissait dans son eau cristalline ; il guérissait aussi les maladies et on y venait de tous côtés en pèlerinage.

La vallée se resserre ensuite de plus en plus, et l’on arrive à la fameuse passe de Llanberis, que l’on peut comparer à celle de Glencoë en Écosse. Elle est garnie de rochers énormes qui gisent couchés ou debout le long d’un ruisseau qui va se jeter dans le lac de Saint-Peris. À moitié chemin, une masse basaltique portant sur plusieurs grosses pierres, forme une sorte de dolmen naturel.

Laissant à gauche le village de Capel Curig, je continuai mon excursion jusqu’à Beddgelert. Je suivis, pendant près de deux lieues, la jolie vallée de Nant Gwynant, et passai près du rocher appelé Dinas Emrys ou le fort de Merlin. Il y a de nombreuses traditions sur le fameux barde ou magicien qui savait évoquer les esprits du fond des abîmes. On raconte que le prince breton Vortigern, pour échapper à ses ennemis les Pictes et les Romains, appela à son secours les Saxons et prit même pour femme Rowena, la fille de leur chef Hengist. Mais les Saxons massacrèrent par trahison les nobles Bretons et forcèrent le roi de leur céder la partie orientale de l’île. Vortigern appela à son aide les sages de son royaume, et, selon leur conseil, résolut d’élever une forteresse qui pût le mettre à l’abri des attaques de ses ennemis. On se mit à l’œuvre ; mais les ouvriers reconnurent avec étonnement que des esprits, habitants du Snowdon, détruisaient toutes les nuits les murs qu’on avait commencé d’élever de jour. Les sages se consultèrent et voici ce qu’ils dirent à Vortigern : « Si tu ne trouves un enfant sans père dont on puisse répandre le sang sur les pierres, jamais tu ne bâtiras ce château. »