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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/288

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les jours, il venait s’asseoir sur cette pierre, y réfléchir, composer et chanter : il mourut en 1420. Le pont Aberglaslyn est situé dans un des endroits les plus romantiques du pays de Galles. Autrefois, si le voyageur se penchait sur le manteau de lierre qui revêt ce pont, il entendait comme la voix étouffée de quelqu’un qui se débattait dans l’eau, et qui s’écriait : Ô Dduw ! pa beth a wnoff ? Ô Dieu que ferai-je ? Si, par compassion, il descendait près des rochers pour porter secours au malheureux noyé, il devenait la proie de l’Esprit des eaux[1]. La façon expéditive dont on voyage maintenant, ne permet plus à personne de passer son temps à écouter les plaintes des esprits : ils se le tiennent pour dit et se taisent.

De Beddgelert à Carnarvon, je passai près de la mine de Drws y Coed, découverte, dit-on, de la manière suivante : « Il y a un siècle, un colporteur qui traversait les montagnes avec sa lourde sacoche, fatigué de la chaleur, s’étendit dans un lieu retiré et s’y endormit. Il fut éveillé par un craquement violent, et, se dirigeant vers l’endroit d’où le son venait, il aperçut une large fissure et y trouva, comme si elle venait de sortir de la montagne, une substance métallique fortement imprégnée d’une odeur de soufre. Il raconta son aventure ; on fit des recherches, et l’on trouva la mine. »


Le fort de Merlin. — Dessin de Grandsire d’après M. A. Erny.

Selon les traditions du pays, il est un moyen sûr de découvrir les mines ; il suffit d’écouter les avertissements d’une tribu d’esprits souterrains, appelés les Frappeurs, qui connaissent toutes les richesses métalliques des montagnes. Bien qu’il ne faille pas toujours se fier à eux sans précautions, car ils aiment à jouer de malicieux tours, ceux qui suivent avec soin leurs indications ne peuvent manquer d’en être récompensés. Les paysans des environs des mines, prétendent les entendre causer entre eux, mais sans pouvoir les comprendre.

Quelques-unes des plus belles mines du pays de Galles passent pour avoir été découvertes par les Frappeurs, qui plus d’une fois auraient guidé les mineurs vers un riche filon. On les entend souvent, par centaines (disent les paysans), jouer de leurs petits marteaux, mais si les mineurs qui travaillent près d’eux s’arrêtent pour les écouter, les esprits s’arrêtent aussi, et ne reprennent l’ouvrage qu’avec leurs compagnons de travail.

Je laisse aux Spirites le plaisir de rechercher les rapports entre ces vieux génies des montagnes et les esprits frappeurs modernes qui, s’ils n’ont pas l’art de découvrir, ont quelquefois celui d’exploiter.

Après être rentré à Carnarvon, je partis pour Bangor et Conway, que je vis en passant, puis j’arrivai à Chester où je dis adieu à la vieille terre galloise et à cette belle race kymrique dont la persistance et la fermeté se peignent admirablement dans leur fière devise de : « Tra mor, Tra Briton. » Tant durera la mer, tant durera le Breton.

Alfred Erny.



  1. Cette tradition a beaucoup de rapport avec celle de l’ondine de Lurlei sur les bords du Rhin.