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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/291

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de bonnes découvertes, que de fines et judicieuses observations, enlevées à la course et par dessus les épaules des yakounines, se trouvent consignées dans les relations de MM. Oliphant, Lindau, de Moges, Roussin, Heine, Spiess, Kreyher, Rutherford Alcock ! Combien elles jettent plus de jour sur les diverses classes de la société de Yédo, et sur le vrai génie du gouvernement taïkounal, que si celui-ci eût fait, avec une civilité empressée, les honneurs de sa résidence aux ambassades étrangères !

Nous devons notamment à M. Lindau un excellent aperçu sommaire de l’étendue, de la population, et de la distribution par quartier, de la ville de Yédo[1].

Cette cité, à tous égards extraordinaire, occupe, d’après M. Lindau, une superficie de terrain de quatre-vingt-cinq kilomètres carrés, et renferme environ un million huit cent mille habitants ; l’auteur ajoute qu’en 1858 les éléments de cette énorme population se divisaient comme suit : les bourgeois, marchands et artisans, au nombre de cinq cent soixante-douze mille huit cent quarante-huit ; les daïmios, leurs maisons, les gens de leur suite, représentant approximativement un chiffre de cinq cent mille habitants ; la maison du Taïkoun, évaluée à cent quatre-vingt mille âmes les membres du clergé, supputés à deux cent mille ; les voyageurs et les pèlerins, à deux cent mille ; les mendiants et les parias, à cinquante mille. J’ai lieu de croire que malgré les fluctuations auxquelles la population de Yédo est plus sujette que celle de toute autre ville, l’on peut encore aujourd’hui adopter le résultat des calculs de M. Lindau, comme se rapprochant aussi près que possible de la réalité.


Taikosama (Fidé-Yori). — Dessin de A. de Neuville d’après une peinture japonaise.

C’est à l’usurpateur Hiéyas que revient le mérite d’avoir fait de Yédo la capitale politique du Japon et la résidence obligatoire des familles seigneuriales de l’empire. À cette époque, au commencement du dix-septième siècle, elle n’égalait en importance ni la miako pontificale, ni la commerçante Osaka, ni même Nagasaki. Mais elle offrait, comme cette dernière cité, l’avantage d’une position stratégique facile à défendre du côté de la terre, et considérée comme inexpugnable du côté de la mer. Nagasaki, à l’ouest, au fond d’une baie de l’île de Kiousiou, et Yédo, à l’angle sud-est du Nippon, formèrent les deux têtes de ligne de cette grande route militaire dont nous avons parlé, le Tokaïdo, qui traverse de l’occident à l’orient, les contrées les plus riches et les plus populeuses du Japon. Kæmpfer, qui fit deux fois partie des ambassades de la compagnie des Indes néerlandaises à Kioto et à Yédo, a compté sur le parcours du Tokaïdo, ou à proximité, trente-trois grandes villes ayant châteaux, et cinquante-sept petites villes ou bourgades non fortifiées, sans parler d’un nombre infini de villages et de hameaux.

Il ne faut pas moins de vingt-cinq à trente jours pour se rendre de Nagasaki à Yédo par le Tokaïdo, à l’aide des moyens de transport en usage parmi les indigènes, qui n’en connaissent pas d’autres que le cheval ou le palanquin.

On distingue deux sortes de palanquins : le norimon et le cango.

Le premier, qui réclame, pour de longs voyages, l’emploi de quatre porteurs, est une grande et lourde caisse, ou l’on peut s’accroupir assez commodément. Les parois en sont de bois laqué et contiennent deux portières à châssis. Bien que le norimon soit, par excellence, le véhicule de la noblesse, il n’admet pas d’ornements de luxe, et il condescend à prêter ses services aux dames de la classe bourgeoise et aux courtisanes attitrées, moyennant que les unes et les autres occupent une certaine position de fortune ou de considération dans la société.

Le cango n’est qu’une légère litière de bambou, toute ouverte sur les côtés. Elle n’exige pas plus de deux porteurs. Ceux-ci marchent toujours d’un pas rapide et cadencé. Ils se reposent un instant toutes les vingt minutes. Quand ils reviennent à vide, chacun d’eux porte seul, à tour de rôle, sur son épaule, le cango suspendu à une extrémité de son axe de bois.

Quant aux chevaux de somme, destinés au transport des marchandises et des voyageurs, ils vont au pas, derrière leur conducteur, la tête baissée, retenue par une courroie, attachée, sous le ventre, à la sangle qui entoure le corps de l’animal. Les Japonais, au lieu de ferrer ces chevaux, leur entourent les sabots d’un petit paillasson, qui ne dure guère au delà d’une journée de marche. À mesure que ces chaussures se détériorent on les jette et les remplace immédiatement, car l’on ne manque pas d’en avoir dans ses bagages une provision

  1. Voyage autour du Japon, par Rodolphe Lindau. Paris, 1864. L. Hachette et Cie.