Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 15.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ginal et tout à la fois un peu sévère, qui convient bien aux souvenirs historiques que rappelle le nom de Remiremont. Le long de cette rue coule un ruisseau d’eau vive que l’hiver grossit assez parfois pour qu’on ait dû border la voie publique de trottoirs assez élevés. À son extrémité, en tournant un peu vers la droite, on rencontre une jolie place, plantée d’une double rangée d’arbres, et sur un des côtés de laquelle fait façade l’ancienne église du Chapitre Noble.

À côte de l’église, et la joignant presque à angle droit, s’élève le palais abbatial, construit en 1750 par le duc Léopold sur l’emplacement de l’ancien hôpital et de l’hôtel de l’abbesse.

On doit aller ensuite au Saint-Mont, qui entendit les premières prières et vit les premières épreuves des religieuses de Remiremont.


Saut de la Cuve. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

On suit, pour s’y rendre, la route de Gérardmer, et après avoir traversé la Moselle et cheminé sur une chaussée bordée d’arbres qui coupe la prairie, on atteint, à environ trois kilomètres de la ville, la base du Saint-Mont, qui, s’il n’était célèbre par les souvenirs qui s’y rattachent, le serait assurément par sa situation pittoresque. Comme toutes les montagnes des Vosges, il est principalement planté de sapins entremêlés de bouleaux et de hêtres. Sous leurs ombrages, et surtout vers les pentes inférieures, s’étendent des pelouses d’un gazon épais, percé ça et là de roches granitiques autour desquelles se plient et se replient les sentiers qui mènent jusqu’au sommet. Le flanc gauche du mont est sillonné de cours d’eau qui, selon la saison et les besoins des exploitations agricoles, tantôt s’élancent en cascades, tantôt s’échappent en légers filets. À ses pieds, le paysage est vivifié par d’actives usines, par quelques maisons de campagne élégantes, et par des fermes ou granges, dont la plus considérable, la grange de Miremont, mérite d’être visitée. Parvenu au sommet de la montagne, qui s’élève à 675 mètres, on a une magnifique perspective du vallon de la Moselle. Dans la direction du midi s’étagent au loin les cimes vaporeuses des ballons d’Alsace et de Servance ; puis, après avoir suivi le cours de la Moselle et les lignes brillantes que forment les ruisseaux qui viennent mêler leurs eaux aux siennes, le regard vient se reposer sur Remiremont. De l’autre côté, au delà d’une hauteur où saint Arnould, évêque de Metz, vint, sur la fin de sa vie, chercher une retraite, se déploie un horizon de verdure formé par la forêt de Fossard.

Du haut du Saint-Mont, l’œil embrasse tous les lieux illustrés par les saints anachorètes qui ont fondé la communauté religieuse de Remiremont.

« Belle petite ville, disent les notes de voyage de Montaigne, et bon logis à la Licorne, car toutes les villes de Lorraine ont des hôtelleries autant commodes et le traitement aussi bon qu’en nul endroit de France. Là est cette abbaye de religieuses de la condition de celles que j’ai dit de Poussai[1]. Elles prétendent, contre M. de Lorrene, la souveraineté et la principauté de cette ville. MM. d’Estissac et de Montaigne les furent voir soudain après être arrivés, et visitèrent plusieurs logis particuliers qui sont très-beaux et très bien meublés.

« Ils apprindrent que certains villages voisins leur doivent de rente deux bassins de nège tous les jours de Pentecauste ; et en faute de ce, une charrette attelée de quatre bœufs blancs : ils disent que cette rente de nège ne leur manque jamais. Elles n’ont qu’un voile blanc sur la tête, et au-dessus un petit happin de crêpe. Les robes, elles les portent noires, de telle façon et étoffe qui leur plaît, pendant qu’elles sont sur les lieux ; ailleurs de couleur. Les cotillons à leur poste et escarpins et patins : coëffe au-dessus de leur tête comme les autres. La compagnie de ces dames nous donna procuration de leurs

  1. Épinal, Poussai et Bouzières avaient, comme Remiremont, leur chapitre noble, cependant avec plus ou moins de rigueur dans les preuves de noblesse qu’il fallait fournir, d’où vint le proverbe lorrain : les dames de Remiremont, les femmes de chambre d’Épinal ; les lavandières de Poussai ; les vachères de Bouzières.