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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/351

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selon la tradition, l’illustre empereur y aurait faite à la suite d’une partie de chasse.

Quelques pas plus loin on trouve le Saut des Cuves, où la Vologne se jette écumante entre deux murailles de rochers noirs. Après tant de sites pittoresques, celui-ci a encore un aspect d’originalité sauvage qui commande une courte halte. Sur un côté, il est fermé par un rempart de rochers coupé tout droit et couronné d’un bouquet de sapins ; sur l’autre, les rochers irrégulièrement brisés sont enveloppés d’une ligne d’arbres d’essences diverses, qui remonte jusqu’au haut de la cascade, en l’entourant d’un beau rideau de verdure ; la Vologne s’élance d’un premier jet pour chercher ensuite bruyamment sa route dans les anfractuosités du roc, où elle forme des cascatelles qui se succèdent capricieusement et se réunissent un peu plus bas, dans un bassin au-dessus duquel s’élève un beau pont récemment construit, et dont l’arche unique ne manque ni de hardiesse, ni d’élégance. La tranquillité du lieu, troublée seulement par le bruit des eaux, la fraîcheur qui règne sous ces cimes richement nuancées, invitent à s’y reposer avant de reprendre la course qui doit conduire jusqu’au sommet du Honneck.

Le lac de Longemer est beaucoup moins vaste que celui de Gérardmer, car sa superficie n’est que de 75 hectares ; mais il a, comme paysage, une importance qui fait oublier son peu d’étendue. Resserré entre deux montagnes couvertes de forêts de sapins, et dont le pied vient se perdre dans de vertes prairies qui baignent ses eaux si pures et si calmes, il ressemble à une glace gigantesque qui serait encadrée dans une immense bordure de velours émeraude. L’horizon se trouve borné de quelque côté que la vue se porte ; mais on ne saurait s’en plaindre, car les limites qui le circonscrivent sont l’eau, les bois, la verdure et le ciel, ces beautés toujours nouvelles dont les yeux et l’âme ne sont jamais rassasiés.

À droite, sur une langue de terre qui s’avance au milieu des eaux, on voit la modeste chapelle de Saint-Florent, célèbre par la vertu du dévidoir miraculeux qu’elle renferme, et dont, assure la légende locale, on obtient la guérison de certaines maladies en le faisant tourner à rebours et de la main gauche.

Une gorge étroite parcourue par la Vologne, qui commence en cet endroit à descendre bruyamment dans la vallée, unit le lac de Longemer à celui de Retournemer, placé au point supérieur du vallon. Ce lac, caché pour ainsi dire au fond d’un entonnoir formé par de hautes montagnes, n’a qu’une surface de 5 hectares et une profondeur de 13 mètres. C’est une miniature, une réduction des grandes nappes d’eau que l’on vient de visiter. « Une étroite écharpe de prairie, dit l’auteur des Promenades dans les Vosges, le ceint et le sépare des forêts ; sur ses vertes pelouses quelques métairies apparaissent à la lisière des bois, et le long de ses rives s’entrelacent, ainsi que les festons d’une guirlande de fête, les variétés nombreuses des plantes aquatiques, où dominent les feuilles larges des ménianthes et des nénufars. » On le contourne pour gagner à son extrémité le chemin des Dames, conduisant à travers les bois et par une pente habilement ménagée au col de la Schlucht, que traverse la magnifique route ouverte pour faire communiquer Épinal avec la vallée de Munster. Elle longe, à travers des blocs de granit, le flanc des hautes montagnes qui bordent les lacs de Longemer et Retournemer, et redescend vers Munster par le versant oriental de la Schlucht. À cette élévation, où MM. Hartmann ont fait construire un joli chalet accommodé en restaurant, on embrasse dans un vaste et splendide panorama l’ensemble des paysages qu’on a parcourus pas à pas ; on voit à ses pieds les eaux des lacs étincelants au milieu de leurs vertes prairies ; à droite et à gauche, apparaissent une suite de montagnes, d’abord séparées entre elles et couvertes de bois, mais dont les formes s’effacent peu à peu, pour se confondre au loin dans la ligne bleuâtre que tracent les autres sommets des Vosges. Enfin un peu en arrière s’élèvent, d’un côté, les hauteurs du Valtin, de l’autre le Honneck, terme de cette longue ascension.

Il faut au moins une demi-heure pour atteindre le faîte du Honneck ; mais là, l’immense perspective qui se déroule aux regards rachète et au delà les fatigues de la marche.

De ce point, élevé de 1 366 mètres au-dessus du niveau de la mer, au pied même du Honneck on découvre la vallée de Munster et les plaines de l’Alsace, qui s’abaissent en gradins jusqu’aux bords du Rhin. Au delà du fleuve on aperçoit la Forêt-Noire, et pour peu que l’on soit favorisé par une belle journée, on parvient à distinguer les cimes des Alpes, à la limite de l’horizon. Autour et au-dessous du Honneck se dressent des pics encore remarquables. Les principaux sont : le Balvurche, à 1 280 mètres au-dessus du niveau de la mer ; le Planeau, à 1 150 ; le Tonnerre, à 1 110 ; le Beheu et les Rachires à 1 000 ; les Xettes, qui dominent Gérardmer à 930.

À mesure qu’on gravit les montagnes connues dans le pays sous le nom de chaumes, les forêts s’éclaircissent ; les arbres, de plus en plus espacés, disparaissent et sont remplacés par des pelouses d’une herbe fine, serrée, qui déroulent de sommet en sommet leurs tapis veloutés.

Les pâturages, dont la qualité est renommée, sont une des grandes ressources de la contrée. Dès que la neige a disparu, c’est-à-dire au mois de juin, dit M. Édouard de Bazelaire, quelques familles de fromagers connus sous le nom de marquards, montent des vallées voisines, pour n’y redescendre qu’au commencement de septembre. Durant la belle saison, leurs nombreux troupeaux errent, nuit et jour, en liberté, broutant les fruits spontanés d’une nature vierge de la culture des hommes, et les hautes herbes parsemées de fleurs, d’arbustes odoriférants, de plantes aromatiques, qui rendent leur lait onctueux et embaumé. Les chalets qu’habitent les marquards se cachent, de distance en distance, dans le creux d’un ravin ; ils se composent de deux pièces, l’une est destinée aux habitants, l’autre