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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/369

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Charafi (voy. p. 375). — Dessin de E. Cicéri d’après un croquis de M. Lejean.


VOYAGE EN ABYSSINIE,


PAR M. GUILLAUME LEJEAN[1].


1862-1863. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


XXXII


Axum. — Traditions. — Les obélisques. — Excentricités de Bruce.

Axum (en abyssin, Akĕsĕmĕ) a été trop souvent décrit par les voyageurs pour qu’il convienne d’ennuyer mes lecteurs de savantes dissertations sur son église et surtout ses obélisques. Je ne donnerai ici, strictement, que mes impressions personnelles.

Mon premier soin fut de monter sur la colline qui, du sud-est, domine la ville, afin d’en saisir le panorama, ce qui me fut très-facile. Je vis une agglomération d’enclos remplis d’habitations et de jardins, comme les faubourgs d’une cité valaque ; chacun de ces enclos formait une sorte de bourgade ou de section de la ville ; au milieu, avec son église portugaise, s’épanouissait le Ghedem ou lieu d’asile, le plus respecté de l’Abyssinie. Au nord du Ghedem, un vaste terrain vague semé des fameux obélisques ; plus loin, la ville finissait et le pli de terrain devenait une passe étroite entre les montagnes. En face de moi, sur la montagne qui domine la cité à l’ouest, l’emplacement de l’ancienne église de la Vierge, basilique vénérée des négus abyssins, incendiée il y a plus de trois siècles par le féroce Mohammed-Gragne. Enfin, au midi, s’étendait la vaste et verdoyante plaine d’Hatzabo, unie comme une plage et bornée à l’horizon par de belles collines où des bouquets de futaies indiquaient la place de nombreuses églises.

Une tradition qui ne manque pas de poésie et qui semble un souvenir affaibli d’une révolution géologique, explique ainsi l’origine d’Axum :

« Tout le pays était jadis recouvert par les eaux. Un jour, le Christ parcourant la terre, s’y arrêta, et, chagrin de voir un lieu où aucun temple n’apparaissait pour glorifier son nom, il fit sortir des eaux une montagne au lieu même où il s’était arrêté, et laissa en partant l’empreinte de son pied sur le rocher. On y bâtit en souvenir du miracle, l’église de Iesghin, aujourd’hui détruite (c’était justement le point que j’avais choisi pour observatoire). Puis, peu à peu, les eaux se retirèrent, et on fonda Axum au fond de la plaine. »

Entre la montagne et le Ghedem court une sorte de mur naturel formé par une longue, mince et dure arête de roc que maint observateur superficiel a prise pour un mur bâti de main d’homme. Bruce, lui, ne se contente pas d’être superficiel ; il est allé ici jusqu’au mensonge le plus net et le plus osé. Le passage est trop curieux pour ne pas être cité en entier :

« De distance en distance on voit, dans cette muraille, des piédestaux solides sur lesquels beaucoup de marques

  1. Suite. — Voy. t. XII, p. 221, 225, 241, 257 ; t. XV, p. 353.