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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/372

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riclès, ou Mlle de Lenclos sous Louis XIV. Du reste elle avait conservé d’excellentes relations, ne manquait pas un enterrement, et quand elle donnait à dîner, comme elle avait une cuisine excellente, pas un prêtre d’Adoua ne manquait à sa table, car elle était fort pieuse et se levait souvent à une heure du matin pour réciter avec son confesseur les litanies de la Vierge. Je prie le lecteur de croire que je n’invente pas : je parle de ceci comme témoin.

Pour en revenir à mon message, il fit merveille. En moins d’une heure, je voyais arriver à mon campement deux soubrettes fort piquantes, ployant sous le poids d’une corbeille à pain et d’un gombo de tedj ; plus, une invitation de regarder la maison Warkète comme nôtre. L’invitation n’avait rien d’indiscret. La belle dame ayant eu des malheurs à la suite de l’insurrection du Tigré (elle avait vu depuis 1861 ses nobles protecteurs exécutés, emprisonnés, ou en fuite), avait dû, pour nouer les deux bouts de l’an, faire ce qu’ont fait en pareil cas des comtesses parisiennes : tenir une table d’hôte et un hôtel plus ou moins garni. Je profitai de l’hôtel, mais je fis table à part.


Village d’Aéroe, près Gafat. — Dessin de Cicéri d’après un croquis de M. Lejean.

Nous étions tous tellement épuisés que pour nous refaire et trouver des provisions et des porteurs, quinze jours furent nécessaires. Ce temps passa avec une rapidité affligeante. De nombreuses excursions aux environs d’Adoua m’aidèrent à ne pas le trouver trop triste. Des domestiques embauchés à Gondar ne voulurent pas aller plus loin : il fallut les remplacer ; nous en serions malaisément sortis sans l’obligeance et le savoir-faire de Warkète, qui, ayant des amis et des parents un peu partout, nous aplanit une foule de difficultés. C’était ce qu’on appelle « une maîtresse femme, » et, ce qui n’est pas rare chez ces dames, une personne obligeante et prompte à rendre service.

Une dernière anecdote sur mon hôtesse.

Quand Théodore entra à Adoua en 1860, elle se trouva malgré son éclectisme de jolie femme, trop compromise pour ne pas être un peu inquiète. En pareille circonstance, l’histoire nous apprend que plus d’une dame s’est parée et parfumée pour aller saluer le vainqueur. VVarkète, qui a de l’expérience, prit le négus par tout autre chose : elle confectionna de ses belles mains une douzaine de petits gâteaux qu’elle alla toute tremblante déposer aux pieds de Théodore II. Celui-ci en mangea, sourit et pardonna.

Avant de quitter Adoua, j’avais fait plusieurs excursions au Chelloda, et sans pouvoir atteindre ce sommet sourcilleux, j’avais rempli mon but secondaire, celui de faire de très-agréables excursions. Pour cela, je traversai l’Assam et je gagnai le faubourg Saint-Michel, en passant sous un superbe daro (ficus daro), voisin de