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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/373

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l’église, aux branches basses duquel pendaient une demi-douzaine d’engins singuliers. Un homme familiarisé avec nos pèlerinages eût pu y voir un assortiment de béquilles votives, attestant la guérison de leurs porteurs ; mais j’appris que c’était tout à fait le contraire.

Cet arbre était le Montfaucon ou le Tyburn d’Adoua, et ces engins étaient les fourches patibulaires qui avaient servi aux patients. C’étaient les voleurs de grands chemins qui achalandaient ce géant végétal.

Je ne sais trop ce qui m’empêcha d’aller visiter à Mai Goaga les ruines de Fremona, l’ancien séminaire des Jésuites expulsés d’Abyssinie il y a deux siècles. Bruce, qui l’a vu et décrit, prétend que de son temps les murs avaient encore 27 pieds de haut ; que c’était un quadrilatère flanqué de tours, divisé en trois parties, dont une était une forteresse avec meurtrières, couronnant une hauteur escarpée et formidable. Bruce, qui avait une haine violente, exagérée contre les Jésuites portugais (qui, nul ne peut le nier, ont été le fléau de l’Abyssinie), insinue que ce prétendu séminaire était destiné à devenir une citadelle et un centre d’intrigues religieuses et de guerres civiles. Cela est parfaitement possible, et l’appel que firent les Jésuites expulsés au vice-roi des Indes rend la conjecture vraisemblable ; mais la véracité de Bruce est sujette à caution. Il se moque du P. Lobo qui traduit Mai Goaga par l’eau qui bruit, et veut que cela se traduise : l’eau des chouettes ; malheureusement pour lui, c’est le P. Lobo qui a raison.


Chute d’eau du Reb, près Charafit. — Dessin de E. Cicéri d’après un croquis de M. Lejean.

On m’a dit qu’aujourd’hui les ruines informes de Fremona sont un objet de terreur pour les paysans du canton, qui prétendent que c’est la demeure des esprits, des démons et des revenants. Il n’est pas malaisé de voir là une ruse du clergé (très-puissant et très-nombreux dans ce canton qui est le domaine privé de l’Abouna) pour rendre la mémoire des Jésuites proscrits odieuse et répugnante à l’esprit des fidèles.

Quant au palais du fameux Michel Zaoul ou Ras Mikhaël, ce prince du Tigré qui fut il y a un siècle le créateur de l’importance politique d’Adoua, c’est aujourd’hui une affreuse ruine qui domine la ville. Les décombres du palais du tyran semblent regarder obliquement, par-dessus la plaine où babillent gaiement trois frais et limpides ruisseaux, le spectre écroulé de Fremona, officine d’une autre tyrannie :

Et ces deux grands débris se consolent entre eux.

Quand je passai à Adoua, je trouvai la ville en grande fermentation par suite d’une complication qui mérite d’être exposée ici tout au long, comme exemple du régime politique auquel Théodore II a été appelé à mettre fin.

Trois ans auparavant, la révolte de Négousié, sou-