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Page:Le Tour du monde - 15.djvu/389

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sin se développe une fort belle vallée de deux à trois lieues de large et de dix au moins de longueur, que les indigènes appellent Motad. Elle est formée d’un fort beau terrain de pâture, et pourrait aisément nourrir le triple de sa population bovine, si l’on forait de nombreux puits dans un sol qui recouvre partout des eaux abondantes.

Quand on part d’Ailat en allant vers le nord, les hautes montagnes qu’on laisse sur la gauche s’ouvrent tout à coup pour laisser passer la Lava, torrent sinueux, bordé de sites admirables : on le remonte pendant un jour si l’on veut pénétrer au cœur du pays des Mensa, tribu peu connue, comme je l’ai dit, et qui mériterait de l’être. Les Mensa sont frères d’alliance et de coutumes des Bogos, leurs voisins de l’ouest : ils sont chrétiens et se subdivisent en deux groupes, Beit Echakan et Beit Ibraché. Bien que libres, ils reconnaissent vaguement la suzeraineté du négus. Comme les Bogos, ils se partagent en choumaglié et en tigré, patriciens et plébéiens.

Assez récemment, Beit Échakan a été razzié par les gens de Hamazène. On cite à cette occasion un mot, presque romain, d’un vieux choumaglié, nommé Djad-Oued-Agaba, à qui on vint annoncer que son fils avait été tué dans l’affaire.

« N’a-t-il tué personne ? » demanda Djad-Oued-Agaba.


Limadou (VOY. p. 390). — Dessin de E. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

Et comme on lui répondit qu’il avait tué deux des agresseurs :

« Tout est bien, dit-il : il n’est pas parti sans un beau souper (senni darrèra). »

Le kantiba d’Échakam, Daër-Oued-Echâl, est une figure originale. C’est un des plus grands guerriers de l’Ainsaba, un Ajax éthiopien.

Un jour que le pays souffrait d’une sécheresse prolongée, il tira deux coups de pistolet contre les nuages, qui semblèrent lui obéir, car une demi heure après, ils versaient un véritable déluge sur la plaine. À quelques temps de là, Daer vint aux Bogos ou l’on se plaignait aussi d’une grande sécheresse. Entendant cela, il regarda fièrement le ciel, et lui dit :

« Ne me connais-tu pas ? je suis l’homme aux deux coups de pistolet ! »

Le lecteur me permettra ici une petite excursion aux Bogos, dont j’ai déjà parlé, mais où m’appelait cette fois l’instruction de quelques affaires de rapts commis par des sujets égyptiens au détriment de cet intéressant petit peuple protégé par la France. J’y passai quelques jours en compagnie du P. Stella, que j’ai déjà présenté au public, et qui avait alors pour coadjuteur un prêtre abyssin très-fin et très-délié, le P. Abba Emnatò, ex secrétaire de la mission abyssinienne, envoyé à Paris