Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 15.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guleux et carré des Bicharis, leurs voisins éloignés. Ils augmentent encore cette ressemblance en portant les cheveux tressés et arrangés de la même manière. Ce sont pourtant deux races absolument différentes, et il ne faut voir là qu’un nouvel exemple de l’influence du genre de vie. Cette influence, en Afrique, est facile à saisir, même chez les individus d’une même tribu. Ainsi j’ai été très-frappé de trouver, dans une petite tribu du Samhar, les choumagliés ou patriciens présenter un type très-supérieur à celui des tiqré ou plébéiens, qui étaient beaucoup plus noirs et d’un aspect plus farouche. Je pourrais faire un long commentaire là-dessus, mais j’en fais grâce à mon lecteur. Je me borne à une dernière observation qui mérite un examen approfondi : c’est que la vie du désert développe et embellit les belles races et enlaidit insensiblement les laides.

Je ferme cette parenthèse et je termine mon récit.

À cinq heures d’Amba, j’arrivai à une aiguade appelée Desset (l’île), où je levai avec soin le plan des tombeaux du Rôm dont j’ai dit un mot en passant (liv. 271). En me plaçant au pied du plus important de ces tombeaux, je remarquai que les deux autres grandes nécropoles que l’on voit de cet endroit font avec celle de Desset une ligne exactement orientée nord-ouest. Cette régularité d’alignement est-elle fortuite ou cherchée ? Les archéologues à venir en décideront : un véritable archéologue a toujours une solution bonne ou mauvaise.

Les indigènes possèdent sur les Rôm plusieurs légendes d’une véritable poésie. Selon elles, quiconque passe la nuit au pied de ces tombeaux reçoit l’inspiration poétique. Un jour un homme étranger au pays fut surpris par les ténèbres près du tombeau royal et s’étendit sur le socle. Aussitôt il entendit un grand murmure comme celui d’un campement qui rentre à la zéziba, mais ce n’était qu’un murmure, et ses yeux ne voyaient rien. Il distingua seulement la voix d’un ancien qui demandait aux jeunes gens : « A-t-on préparé ce qu’il faut pour héberger cet étranger ? A-t-on cuit la lougma qu’il doit manger ? A-t-on trait le lait qu’il doit boire ? »


Devra Tabor (voy. p. 390). — Dessin de E. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

Les Rôm, dit la même tradition, étaient un peuple riche, qui avait tous les Bédouins des alentours pour vassaux. Il n’y a pas cent ans que le dernier des Rôm est mort. Avant d’expirer, il a fait son chant funèbre. Il était assis sur une pierre, à l’ombre d’un tamaris, et il improvisait. Un Bédouin s’était caché dans l’arbre en voyant venir le géant (car les Rôm étaient d’une taille surhumaine). Le colosse le vit et lui dit doucement : « Ne crains rien, mais écoute et grave dans ton souvenir le chant que je vais chanter, afin de le redire en mémoire du dernier des Rôm, quand il ne sera plus. »

Les tombes de Desset ne sont qu’une variété parmi les nombreuses sépultures antiques qui sont éparpillées dans toute la Nubie. On m’avait signalé Maman, au nord-est de Kassala, à trois journées dans l’intérieur, comme une ville antique : j’ai passé deux fois en vue de cette montagne, mais je n’ai pas eu le temps de m’y arrêter. Cette bonne fortune a échu au docteur russe Schweinfurth, qui, peu après moi, a suivi cette route en inclinant un peu à l’est et a passé à Maman, où il a vu, sinon une ville abandonnée, du moins de très-nombreuses sépultures, qui offrent quelques dissemblances avec celles de Desset, mais qui sont mieux conservées. Voici quelques caractères communs :

Un rez-de-chaussée formant caveau, quadrangulaire : au-dessus, une tourelle également quadrangulaire, surmontée d’un petit revêtement en terre, légèrement bombé. À Desset, mais pas ailleurs, la maçonnerie est recouverte d’un enduit de chaux : ni inscriptions, ni signes extérieurs.

Non loin de Maman, à Antoka, près du puits Élocoïb (qui est peut-être le même qu’Élabgva dont j’ai parlé,