Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 15.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’expédition, on peut juger que déjà des résultats considérables pour la géographie et les études ethnographiques ont été obtenus. La carte de ces parties de la Péninsule va prendre un nouvel aspect. Il est fort à désirer que les études de la Commission puissent se porter suffisamment sur les populations du haut pays compris entre la Cochinchine et le Kambodj, — sur les Moï (c’est-à-dire les Montagnards) comme les Cochinchinois les appellent ; car il y a là une race particulière et encore fort peu étudiée, qui se distingue radicalement, par sa physionomie presque européenne, des populations de la grande famille mongolique à laquelle appartiennent, sauf à peu près cette unique exception, tous les aborigènes de l’Indo-Chine.


VIII

Il resterait peu de faits nouveaux à signaler dans les choses géographiques de l’Asie, alors même que nous n’aurions pas à nous mesurer l’espace ; tout au plus pourrions-nous mentionner la Corée, plus rigoureusement fermée aux Européens que ne l’étaient dernièrement la Chine et le Japon, et d’où une récente démonstration maritime, provoquée par le meurtre de plusieurs missionnaires, a rapporté des reconnaissances et quelques relevés nautiques, en attendant mieux[1]. Parmi les trophées de l’expédition, on cite une carte « de la Chine, de la Corée et du Japon ; » mais on ne dit pas quelles eu sont les dimensions, et nous ne saurions préjuger si ce document national est susceptible d’ajouter pour nous quelque chose, en ce qui regarde l’intérieur de la Corée, à l’ancienne carte des Jésuites et aux cartes indigènes publiées par M. de Siebold et par la Société de géographie de Paris en 1849. Dans tous les cas, les opérations de nos ingénieurs nous auront toujours valu une carte de la partie inférieure du fleuve qui vient déboucher dans la mer Jaune après avoir passé à quelque distance de la capitale du royaume. Si limité que soit ce résultat, il mérite d’être signalé ; c’est la première percée européenne dans cette péninsule de Corée jusqu’à présent inaccessible. Tout nous y est si nouveau, que le nom même de Seoul, sous lequel la capitale a été mentionnée, était à peu près universellement inconnu. Le fait est que Seoul (ou plutôt Sièour, selon la véritable forme coréenne, dont Seoul est une altération chinoise), le fait est, disons-nous, que Seoul n’est pas un nom dans le vrai sens du mot, mais seulement une appellation usuelle qui signifie « la Capitale, » comme l’Urbs des anciens Romains. Le vrai nom de la métropole coréenne, parmi plusieurs autres dénominations plus ou moins employées, paraît être Hân-yang, ou, par une abréviation courante, Anyang.

Sur le Japon, rien de nouveau, géographiquement parlant, si ce n’est pourtant la très-belle et très-remarquable publication de M. Humbert, ministre plénipotentiaire de la nation suisse à Yédo ; mais celle-là nous n’avons pas besoin de la signaler aux lecteurs du Tour du Monde, puisqu’ils l’ont sous les yeux. Nous ne croyons pas être indiscret en ajoutant que M. Humbert se propose de publier prochainement à part ses curieuses communications, avec de nouveaux développements que ne comportait pas le cadre du Tour du Monde ; et sûrement nous serons d’accord avec l’impression de nos lecteurs, en affirmant que cette relation développée sera le livre le plus remarquable qui aura été publié de notre temps sur le Japon, soit par la nouveauté, l’intérêt et la solidité du texte, soit par l’incomparable beauté des nombreuses gravures qui l’accompagnent. C’est le Japon pris sur le vif.


IX

Des contrées extrêmes de l’Asie transportons-nous aux dernières extrémités du Nord : là encore nous retrouvons l’homme, — l’Européen, — dans son insatiable besoin de tout voir et de tout connaître, luttant de toute la puissance de sa volonté, de toutes les forces de son énergie pour arracher aux éternels frimas du pôle les derniers secrets de la vie terrestre et de la constitution physique du globe. Deux projets nouveaux d’expédition polaire, l’un suggéré en Angleterre au sein de la Société de géographie, l’autre propagé en Allemagne par la vigoureuse initiative du docteur Augustus Petermann, l’éminent directeur du journal géographique de Gotha (les Mittheilungen), ont eu, il y a deux ans, un grand retentissement dans le monde scientifique. Les circonstances politiques ont suspendu, mais non sans doute fait abandonner ces projets. Cette fois, il ne s’agit plus du passage de l’Atlantique aux mers orientales par le nord du continent américain : ce difficile problème, auquel l’Europe a consacré trois siècles et demi d’efforts et de luttes, est aujourd’hui résolu. Il est résolu non au profit d’une application pratique, à laquelle s’opposeront toujours les difficultés et les périls des mers polaires, mais au grand profit de la science. Si rigoureux que soit le climat des régions arctiques, si affreusement stériles que soient des terres perdues au milieu des glaces, il y avait là plus d’une question importante pour la géographie et la physique du globe, pour l’histoire naturelle et l’ethnographie. Ces questions, notre époque a mis son honneur à les résoudre, et elle les a résolues.

Il en reste une, cependant, une seule ; mais la plus grande de toutes et le couronnement des autres : le Pôle ! Pas un seul navigateur jusqu’à présent n’a pu rompre le cercle de glace qui défend, à la distance de moins de deux à trois cents lieues, — deux ou trois jours au plus de navigation dans les mers ordinaires, — l’approche de ce point extrême où est le pivot du globe terrestre ; nul encore n’a pu toucher ce point unique de notre hémisphère où règne le repos absolu, centre vers lequel se dirigent, par une loi mystérieuse, les forces magnétiques du globe. Et que l’on ne croie pas que la pensée d’un voyage au pôle soit seulement inspi-

  1. M. de Rostaing, attaché au Ministère des affaires étrangères, en a consigné les résultats dans une note imprimée au Bulletin de la Société de géographie, cahier de février 1867, p. 210-225, avec une carte.