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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/364

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quelle a souvent passé Raphaël : c’est là qu’habitait la Fornarina.

Comme nous commencions à monter et que l’herbe devenait plus fournie dans la rue, où les maisons se raréfiaient, je demandai où nous allions, et il me fut répondu que nous gravissions le Janicule, le Monte d’Oro, où le roi Janus avait sa ville d’Antipolis en face de celle de Saturne, où suivant Tite-Live on a trouvé la tombe de Numa, où s’éleva la citadelle d’Ancus Martius, où d’après la légende chrétienne l’apôtre saint Pierre a été crucifié.

Mais, avant d’entrer à San Pietro in Monte Aureo, ou plus vulgairement Montorio, mon ami me pria de ne pas tourner mes regards sur le côté escarpé de la rampe. «  Il peut paraître enfantin, observa-t-il, de s’amuser à ménager des surprises ; mais je tiens à vous placer devant un assez beau point de vue, sous son jour, à son heure favorable, et il est encore trop tôt. Puis, après tout ce que nous avons parcouru, l’attention a besoin de se rasseoir en changeant d’objet. Nous nous reposerons en examinant cette église et ce petit couvent que de bons capucins partagent avec nos soldats très-fraternellement : vous les verrez la tabatière à la main desservir avec une infatigable prodigalité tous ces nez militaires. »


Les colonnades de Saint-Pierre. — Dessin de Catenacci d’après une photographie.

Le long des rues, j’avais déjà remarqué que les boîtes à priser étaient d’un usage aussi hospitalier que général, et que Rome en est encore aux habitudes du siècle de Fontenelle où l’un et l’autre sexe portaient une tabatière et une canne. Les Romains ont laissé la canne : il faudrait faire l’effort de la porter ! Les moines du Montorio prenaient et offraient environ deux prises par minute : c’est le fond de la conversation. L’abbé, qui tenait à me distraire de regarder derrière moi, s’empressa de me conter que dans toutes les classes, jeunes et vieux, belles et laiderons, bourgeois, paysannes, moines et soldats, chacun se bourre les narines avec zèle. « Vous verrez, disait-il, à la chapelle Sixtine où figure le sacré collége, combien ce labeur de l’alimentation nasale est plaisant ! Priseur émérite, Pie IX use fréquemment d’un vrai mouchoir de capucin, chiffon de cretonne à carreaux rouille et bleu comme on n’en voit plus chez nous qu’aux fermiers de la Lorraine. Cette pauvre loque tranche avec l’or et la pourpre de l’héritier des empereurs de Rome : ne trouvez-vous pas qu’un tel échantillon de la garde-robe du souverain pontife révèle la simplicité monacale du religieux, encadré dans les magnificences de l’Église ? »

Cette observation m’est revenue en souvenir, lorsque depuis j’eus l’occasion d’approcher le Saint-Père, qui a les habitudes d’une extrême simplicité. Sa tabatière, que j’ai regardée un jour tandis qu’il daignait causer