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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/38

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chercher de l’or à Bouré. L’autre que nous croisâmes à Seppo, conduisait des bœufs qu’elle allait échanger contre des esclaves. Tous parurent enchantés de me voir ; l’un des Diulas, pour me montrer sa joie, voulait m’embrasser ; sans doute il avait vu des blancs agir de la sorte, car ce n’est pas dans les habitudes des noirs, et j’eus bien de la peine à m’en défendre.

À l’endroit où je traversai le Bakhoy, il recevait de l’Est un affluent ; je crus y voir la solution d’un problème géographique et avoir trouvé un troisième tributaire du Sénégal. Mais quand je questionnai les gens qui nous accompagnaient, ils me dirent que cette rivière sortait du Niger ; c’était évidemment une erreur. Je demandai le nom de ce cours d’eau et on me dit qu’il s’appelait le Ba-Oulé. C’était bien, en effet, le nom qui lui était donné par tous les renseignements ; mais d’où sortait-il ? Après mille questions, j’appris enfin le soir, à Marena, que ce n’était qu’une branche du Bakhoy qui entourait de ses bras inégaux une petite île, et de fait, comme le courant y est rapide et qu’on y trouve des bancs de sable et des roches roulées, il est hors de doute que c’est bien un cours d’eau. S’il venait plus de l’Est que le Bakhoy et parallèlement, on le traverserait en allant de Bangassi au Niger, et, au contraire, tous les témoignages s’accordent à dire qu’il n’y a là qu’un marigot qui tombe dans le Niger ce qui sans doute a fait supposer que ces deux cours d’eau n’en faisaient qu’un.

Je crois donc devoir indiquer comme positif que le Ba-Oulé n’est qu’une branche du Bakhoy no 2[1].

Nous trouvâmes environ 70 centimètres d’eau dans cette rivière, dont le cours était rapide ; on put la passer sans grande difficulté, et nous campâmes de l’autre côté. Notre premier soin fut de nous baigner. Tous, nous en avions grand besoin, depuis le temps que nous n’avions pas trouvé d’eau courante et après des marches forcées sous des températures très-élevées et au milieu d’une poussière épaisse.

À midi, je pris la hauteur du soleil et je déduisis pour latitude du passage et du confluent du Ba-Oulé 13° 40′ 55″. Cette opération terminée, rien ne nous retenait plus et nous entrâmes dans le Kaarta, que le Bakhoy sépare du Foula Dougou.

Tout en cheminant j’avais fait la connaissance de la bande de Diulas qui nous servaient de guides ; la décrire ici ne sera pas inutile : c’étaient des Sarracolets ou Soninkés du Kaarta.

L’un d’eux était parti de Guémoukoura, son pays, depuis cinq ans. Il en était sorti pauvre, il y revenait avec une certaine fortune. Cependant ses vêtements étaient des plus simples, assez misérables même. Mais il ramenait cinq captifs, une femme et un enfant. Il s’était d’abord rendu avec du sel au pays de Bouré, où il l’avait échangé contre de l’or. De là, passant par Timbo, il était allé à Sierra Leone, où il avait travaillé longtemps à la culture des arachides ; alors possesseur d’une petite fortune il s’était mis en marche, achetant d’abord une esclave dont il avait fait sa femme et qui lui ayant donné un enfant, s’était élevée au rang de femme libre. Un fort captif portait l’enfant ; puis trois autres jeunes filles éclopées par la longue route qu’elles venaient de faire, atteintes par les vers de Guinée, les jambes enflées, suivaient, s’aidant d’un bâton. Outre cela un malheureux enfant de trois à quatre ans, aux membres maigres, courait entre les jambes des chevaux, faisant des marches de cinq et six lieues ; le docteur avait pris cet enfant en amitié et souvent il le mettait devant lui à cheval ; quant aux malheureuses captives dont j’ai parlé, à mesure que les charges de nos ânes diminuaient, par suite de la grande consommation de nos vivres qui servaient à presque tout le monde, je faisais placer dessus, d’abord les bagages qu’elles portaient, puis enfin les femmes elles-mêmes, car quelque endurci que je fusse je ne pouvais voir ces malheureuses au moment du départ, les membres engourdis, trop faibles pour se lever ; souvent leur maître arrivait, les frappait et quelquefois une larme coulait silencieusement le long de leurs joues. Sans doute elles pensaient au lieu de leur naissance, à la case de leur mère, et lentement, péniblement, elles se mettaient en marche.

Si l’on ajoute à ces épreuves le mauvais régime, l’abstinence forcée et la rareté de l’eau pendant les trois jours de route que nous fîmes entre Kita et le Bakhoy, on comprendra la souffrance de ces troupeaux d’êtres humains qu’on mène de marché en marché sur toute la terre d’Afrique, au nom des usages de la barbarie ou de l’islamisme.

En dehors de cette bande, nous avions le spectacle hideux de captifs enchaînés deux par deux. Le maître de ceux-ci était un Toucouleur des bords du Sénégal, d’un village du marigot de Douai, grand hableur s’il en fût jamais ; porteur d’un immense turban, d’un grand sabre à fourreau de cuivre, il était chargé par Abibou[2], chef de Dinginray (Fouta Djallon) de porter a son frère Ahmadou deux colis renfermant des burnous, de la soie et différents cadeaux. Les porteurs étaient les esclaves enchaînés deux par deux.

Ils étaient Malinkés ou plutôt Diallonkés. J’ignorais à cette époque l’existence d’une race Diallonké, et ce n’est que par la suite que l’idée m’en vint, en me rappelant entre autres particularités leur embarras à parler le malinké. Quant au type, il est sensiblement le même.

Un bâton de 3 centimètres de diamètre, percé d’un trou à chaque extrémité, les joignait l’un à l’autre ; chacun des trous aboutissait à un collier, tressé en cuir de bœuf, autour du cou des captifs, à la façon des erseaux de la marine. Comme ils n’avaient aucun couteau, il leur était impossible de se débarrasser de cette entrave qui les réduisait à la condition la plus misérable. Ainsi, quand il fallait passer un endroit dangereux, franchir un ruisseau sur un arbre, un gué sur des roches, qu’on se figure leur position ! et je ne parle pas

  1. À moins que le Bakhoy ne soit le Wonda de Mongo Park et que ce cours d’eau ne soit le Ba Oullima.
  2. Abibou est le troisième fils d’El Hadj Omar.