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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/54

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n’aurais pas passé vingt-quatre heures sans être pillé, attaché et transporté à Ségou comme espion.

Il fallait donc marcher en avant et quand même, en cachant nos inquiétudes ; aussi à sept heures, le 16, nous nous dirigions sur Toumboula.


Toumboula. — Badara-Tunkara. — Le Lambalaké. — Tikoura. — Bembougou. — Barsafé. — Marconnah. — Ouakha ou Ouakharou. — Les roniers et leurs fruits. — Les Foular. — Masoso ou Soso. — Un cadavre noroubougou. — Craintes des Bambaras. — Médina. — Nous rejoignons une caravane. — Marche en colonne. — Une attaque. — Article de journal sur cette attaque. — Comment les bruits se transportent en Afrique. — Arrivée à Banamba. — Pluie anomale.

Toumboula, le nom du village dans lequel nous venions d’entrer, n’est porté sur aucune carte, et je n’en avais jamais entendu parler. Mes noirs m’affirmèrent qu’ils le connaissaient de nom, et au fait la chose n’a pas lieu de me surprendre, puisque c’était un village soninké, dont beaucoup d’habitants, une moitié peut-être, avaient fréquenté les comptoirs français et anglais, et avaient dû y porter le nom de leur village. À Koundian, j’avais été reconnu par un Sarracolet Diula, qui avait passé plusieurs années dans la Cazamance et m’avait vu chez M. Jules Rapé, lorsque je commandais le Griffon, en station dans cette rivière ; la même chose eût parfaitement pu m’arriver à Toumboula. Néanmoins, je ne pus m’empêcher de penser que si dans les comptoirs on faisait subir à chaque caravane venant de l’intérieur un interrogatoire sur son lieu de départ, sa marche, le lieu de naissance ou de domicile de ses hommes, on aurait recueilli depuis longues années des renseignements précieux qui me manquaient totalement. Et, certes, ce ne serait pas chose difficile ; dans les comptoirs, où l’ennui et l’inaction sont des causes de mortalité, on a de longues heures de loisirs. Une telle étude profiterait à la science, serait utile à la colonie et salutaire aux personnes qui en seraient chargées. Quant aux interrogés, le plus mince cadeau après l’interrogatoire les indemniserait de leur perte de temps et les renverrait contents.

Je ne tardai pas à apprendre que le chef de Toumboula avait été placé là par El Hadj, qu’il lui était dévoué, que c’était un grand marabout, et qu’il se nommait Badara Tunkara.

Malgré son âge, il ne tarda pas à arriver entouré d’une foule qui paraissait avoir le plus profond respect pour lui. Il portait un burnous noir brodé d’or par-dessus les vêtements du pays, un bonnet rouge et un turban blanc très-étroit. Il me frappa de suite par sa bonne figure et sa ressemblance singulière avec Amat-N’diaye An, le tamsir ou chef de la religion musulmane de Saint-Louis. Il nous reçut avec effusion, me dit qu’il avait été longtemps à Sierra-Leone, qu’il connaissait les blancs, les aimait, et, comme péroraison, il me donna un joli jeune bœuf pour mon déjeuner. Il aurait bien voulu que je restasse à son village, il me demandait à acheter de la guinée et m’apporlait une belle tamba sembé ou écharpe, bleu foncé, en échange. Mais j’avais arrêté d’aller coucher à Marconnah, je ne me laissai pas tenter. Je fis un cadeau au vieux chef, le remerciai, m’excusai de ne pas tuer le bœuf dans son village, et dès que hommes et animaux eurent mangé et bu, je repris ma route.

Le docteur avait été assailli par les malades, mais il n’avait pu donner de soins et de médicaments qu’au frère du chef du village, atteint d’une ophtalmie assez grave. Du reste, la poussière était tellement intense, qu’il y avait de quoi causer des ophthalmies à tout le monde ; je mis mes lunettes de voyage, mais au bout de quelques instants je n’y voyais plus du tout, tant les verres étaient couverts de poussière ; nous mangions du sable, nous en buvions, bref, je quittai Toumboula sans regrets, malgré l’hospitalité de son chef.

Ce village était actuellement le chef-lieu du Lambalaké, petite province très-fertile, habitée par les Soninkés, qui, par leur travail, ont su y apporter une industrie et du bien-être. C’est de ce pays et du Fadougou que nous allions bientôt traverser, que sortent les Lomas noirs et tamba sambés les plus estimés et les mieux teints.

La route de trois heures qui mène de Toumboula à Marconnah sillonne un beau pays accidenté, couvert d’une belle végétation au milieu de laquelle apparaissaient quelques roniers ; un peu avant d’arriver au village, nous traversâmes un petit plateau de roches : c’était depuis longtemps le premier que nous rencontrions.

Marconnah est un grand village muni d’un tata ; là comme à Tikoura placé sur cette même route, je fus frappé de la culture du tabac très-soignée et faite sur une grande échelle. J’appris que c’était un objet de commerce important, qu’on en transportait des ballots sur les marchés du Djoliba (Niger). Il y en avait différentes variétés, mais je n’eus pas le temps de les examiner ; notre marche était si rapide, que dans nos haltes nous avions déjà trop à faire de remettre nos notes en écriture lisible, d’arrêter le tracé de la route et de répondre aux palabres. Toute autre étude, tout autre travail eût été impossible, je me trouvais déjà surchargé, et bien souvent pour faire en route mon lever graphique, pour le remettre au net, en arrivant, il m’a fallu faire appel à toute ma volonté et à toutes mes forces.

Famahra avait un frère dans ce village ; il vint me saluer avec le chef, et tous deux tentèrent de me décider à passer la journée du lendemain à Marconnah. Je refusai énergiquement, malgré la mauvaise humeur de Famahra qui aurait désiré se reposer chez les siens, chose bien naturelle du reste. On m’envoya alors deux chèvres, et comme j’avais abondamment de viande je fis porter au chef les deux épaules du bœuf qu’on m’avait donné à Toumboula.

Le 17 au jour je fis charger ; je voulais me rendre à Soso dans la journée, et on m’avait prévenu que la marche serait longue.

Au moment de partir Famahra n’était pas là. Je me mis en route sans lui, sous la conduite d’un guide fourni par le village.