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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/112

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bans de papier ; d’autres encore, chargés de petites bannières reproduisant les sujets favoris de celles qui tapissent les rues. À cet égard, le goût du peuple s’est prononcé plus spécialement pour l’une des figures les plus pittoresques du vieux Nippon, le brave Shyoki, le chevalier sans peur et sans reproche de la première guerre de Corée. La foule aime à contempler son visage austère, toujours impassible au sein du danger : le vent agite sa barbe et sa longue chevelure, et fait flotter sur sa tête les deux classiques fanons de l’ancienne toque du daïri ; mais ses grands yeux calmes et vigilants, sa main droite armée du glaive et la fermeté de son attitude, en font le type accompli de la bravoure et de la prudence réunies. Longtemps après qu’il eut cessé de vivre, Shyoki remportait encore des victoires. Quand les Mongols tentèrent d’envahir l’île de Kiousiou, le siogoun ne voulut pas se borner à leur opposer ses meilleures troupes, il fit déployer à leurs yeux un grand nombre de bannières portant l’image de Shyoki, et ce spectacle seul les glaça d’épouvante.


Procession de la fête du temple de Sannoô. — Dessin de L. Crépon, d’après une gravure japonaise.

Malgré l’inaltérable fidélité avec laquelle les artistes reproduisent les traits conventionnels de leurs grands types nationaux ils en varient à l’infini les poses, l’action, l’attitude, tous les accessoires, en un mot, qui ne peuvent compromettre l’identité du personnage. Ainsi, le vieux Shyoki, dans sa carrière aventureuse eut à combattre des ennemis de tout genre, entre autres, une légion de petits démons à peau rouge extrêmement taquins, opiniâtres et malicieux : ils s’attachaient à ses pas, s’embusquant sur les arbres, derrière les rochers, sous les ponts et dans les roseaux. La manière dont il leur fait la chasse et dont sa proie tantôt lui échappe, tantôt reste en son pouvoir, forme le sujet d’une épopée burlesque, à laquelle, depuis des siècles, les peintres indigènes ne cessent d’ajouter quelque épisode de leur invention. Souvent leurs dessins à l’encre de Chine sont de petits chefs-d”œuvre de verve héroï-comique.

Aimé Humbert.

(La suite à une autre livraison.)