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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/141

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à des idées d’hospitalité primitive qu’il fallait respecter, et je m’abandonnai complétement à leurs soins. Quand elles eurent débarrassé ma personne de tout ce qui pouvait la gêner, elles m’essuyèrent longuement avec du vatmol, espèce de drap grossier que les femmes fabriquent elles-mêmes, et je pus ensuite m’habiller.

Une fois à l’aise je commençai ma distribution de cadeaux, en laissant de côté les rubans, qui avaient obtenu un trop piètre succès à Thorfastathir.

Ce qu’il y avait de fatigant dans cette distribution, c’est que, chaque fois que je donnais quelque nouvel objet, la personne qui le recevait se croyait obligée de m’embrasser, et quand je faisais un présent aux enfants, après que ceux-ci m’avaient remercié de la même façon, les mères s’empressaient de contre-signer la reconnaissance. — J’avais fini par me laisser faire machinalement.

Assis sur le fauteuil patriarcal, j’avais mis le couvert sur une de mes caisses placée devant moi. Pendant mon repas, je distribuai quelques friandises aux enfants et aux grandes personnes, qui ne sont que des enfants grandis. Après le dîner, on m’apporta du café, une jatte de bois et du sucre. J’avais bien du sucre et du café dans mes provisions, mais quand on arrive dans un bœr, il faut bien se garder d’y toucher : ces deux aliments font partie de l’hospitalité, qui souvent du reste est moins agréable à celui qui la reçoit qu’à ceux qui l’offrent. Ainsi, en me servant le café, on m’apporta du sucre dans une soucoupe. Ce malheureux
L’étranger aux soins d’une famille islandaise. — Dessin de V. Foulquier d’après l’album de l’auteur.
morceau de sucre, gros comme une noix, était noirci par le temps. Depuis de longues années il attendait dans une armoire, au fond d’un coffre, qu’une occasion solennelle vînt l’en tirer ; une grande maladie était peut-être passée à côté et on s’en était privé. Pour le faire paraître plus gros, on l’avait coupé en une foule de petits morceaux, tout en ayant bien soin d’en conserver les moindres débris, et le tout était savamment éparpillé dans la soucoupe. Oh ! les braves gens ! ils ont peu de sang et il est bien pauvre ; mais vous proposeriez à un Islandais de se laisser saigner pour vous faire plaisir, qu’il s’ouvrirait les artères et mourrait heureux de vous faire ce sacrifice. J’avais une surabondance de sucre dans mes provisions et j’étais obligé par l’usage de consommer cette petite réserve si précieuse ! J’en avais le cœur navré ! Pour me soulager, je commis un abus de confiance : pendant la nuit je profitai de ce qu’on avait mis la clef sur les coffres, et, semblable à un homme qui fait une mauvaise action, j’y glissai un gros morceau de sucre, qu’on aura trouvé après mon départ. J’espère que ces âmes si bonnes et si simples n’auront pas pensé à m’en vouloir.

Après le café, j’eus les bambins sur les bras. Le respectable undwegis-sulur (fauteuil sacré), sur lequel je trônais comme un Jarl, en était littéralement garni ; une petite fille aux yeux bleus s’appuyait sur le formidable Thor ; le farouche Odin servait de cariatide à un petit bonhomme aux joues vermeilles ; les plus petits étaient sur mes genoux, et les mères se tenaient accroupies devant moi en faisant des gestes d’admiration. C’est dans cet état que je pus faire, mais non plus