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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/140

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coups de fouet à tout mon personnel pour le lancer en avant, et je continuai ainsi ma route, comptant sur une bonne trotte pour me sécher.

Nous fîmes une course rapide jusqu’à Thyorsarholt, joli bœr situé sur une colline qui domine un large fleuve appelé la Thyorsà. Il était près de dix heures, et je voulais passer outre, afin de traverser la rivière. Mais tous les habitants du bœr m’avaient déjà entouré, me suppliant de m’arrêter : il fallut céder à ces prières et je n’eus pas à m’en repentir. La tempête, qui allait toujourš en grossissant, me força de séjourner quarante-huit heures dans ce bœr, où j’ai pu étudier dans ses détails les plus touchants la véritable civilisation islandaise : certainement j’y ai vu des choses non moins étonnantes que mes aventures de Thorfastathir.


VI


Séjour à Thyorsarholt ; la vie islandaise. — Notions des habitants sur la pudeur. — Description d’un bœr. — Passage de la Thyorsà. — Arrivée chez les prêtres de Storuvellir. — Le Loup de la nation ; une conversation sur la politique française. — Passage des dunes — Arrivée à Hankadolur.

Dès que j’eus mis pied à terre, je passai par les bras de toute la colonie, formalité de rigueur ; puis je fus reçu selon toutes les règles de l’hospitalité islandaise.

Les hommes se chargent du guide et des chevaux ; l’étranger appartient aux femmes, qui sont les prêtresses de l’hospitalité.


Dîner dans l’église. — Dessin de V. Foulquier d’après l’album de l’auteur.

On me conduisit dans le trou qui est destiné à l’étranger, et qui se trouve ordinairement à la droite de l’entrée principale du boœr ; le chef de la famille m’apporta ensuite le fauteuil patriarcal, dont les deux montants représentent Thor et Odin ; c’est l’emblème de la force et de la puissance ; le père et maître seul a le droit d’y prendre place. En mettant ce meuble à ma disposition, on voulait me dire : Vous êtes le maître ici.

Il y a dans le petit local qu’on destine à l’étranger de longs coffres qui renferment toutes les richesses de la famille : pauvres richesses ! Dès que je fus installé, la maîtresse femme arriva avec des clefs qu’elle plaça dans la serrure, ce qui voulait me dire : Vous êtes chez vous, tout ce que nous possédons vous appartient.

Cependant j’étais très-embarrassé. Depuis mon arrivée dans le bœr, j’étais entouré des femmes et des enfants ; j’éprouvais le besoin de changer mes vêtement mouillés et je ne savais comment m’y prendre. Pour faire comprendre mon intention, je tirai d’une de mes caisses des vêtements secs, du linge, une flanelle, etc., j’ôtai même mes bottes, mais elles restaient toujours là. Alors j’essayai par des gestes de leur faire entendre que j’étais complétement trempé et que j’avais hâte de changer. Elles comprirent parfaitement ; mais, loin de me laisser seul, elles se mirent à me déshabiller pièce à pièce, jusqu’à ma dernière flanelle. Cette façon d’agir, peu conforme à nos mœurs, m’avait d’abord mis dans un grand embarras ; il y avait autour de moi des jeunes filles de quinze, dix-sept, vingt ans, qui se prêtaient à cette cérémonie de l’air le plus candide du monde. À voir leur figure si franche, si honnête, je pensai que si j’opposais la moindre résistance, j’allais peut-être faire offense