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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/171

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Sachez qu’ils traitent ainsi leurs cargaisons de fromages. »

« Le navire arriva ainsi à Marseille.

« Les négociants consignataires eurent vent de la fraude et se plaignirent. On nomma des experts au tribunal de commerce.

« Ceux-ci, qui n’avaient jamais vu de guano, firent un rapport favorable. Ne trouvaient-ils pas dans cette terre tout ce qu’indiquent les livres ? Couleur jaune, phosphate d’ammoniaque et de chaux, même des restes de volatiles ? La partie adverse attaqua le rapport.

« — La demande a tort, dit l’avocat du défendeur, ce que nous vous apportons est bien du guano, du guano confectionné par des oiseaux marins, et la preuve c’est qu’il y a encore des plumes. »

« Sur cet argument Petrocochino fut acquitté, mais on parle encore à Marseille du guano qu’apporta le Grec. »

Pendant le peu de temps que je restai à Lima, j’eus le plaisir de rencontrer quelques types d’indigènes, vêtus du poncho, sorte de manteau andalous, et portant aux pieds les sandales traditionnelles. Ils s’abreuvaient de chicha, eau-de-vie en grande faveur dans toute l’Amérique du Sud. Quelques-uns, par leurs traditions, se reliaient aux Incas ; mais pour des fils du Soleil ils étaient bien dégénérés. La plupart venaient des hauts plateaux des montagnes, entre autres celui de Cerro de Pasco, où sont les mines d’argent les plus élevées des Andes. Les filons atteignent sur ce point la hauteur de quatre mille cinq cents mètres : c’est presque l’élévation du Mont-Blanc.

De Lima je retournai à Callao, et de là, remontant le Pacifique à petites journées, je touchai à Huacho, Huanchaco (le port de Trujillo), Lambayeque, Payba, où l’on cultive un coton renommé, Guayaquil dont la belle rivière est entourée, sur l’un et l’autre bord, d’une végétation vigoureuse, et qui donne bien une idée du fouillis inextricable des forêts vierges.

C’est à Guayaquil que l’on fabrique surtout, avec les fibres d’une graminée sauvage, les chapeaux dits de Panama. On y récolte aussi un cacao de qualité supérieure, aussi huileux, aussi parfumé que celui de Caracas, c’est tout dire.

De Guayaquil notre steamer nous porta en quatre jours à Panama. Nous franchîmes l’isthme sur le chemin de fer qui relie Panama à Aspinwall (les indigènes disent Colon), et d’Aspinwall nous gagnâmes Saint-Thomas, la plus coquette et l’une des plus petites des îles des Antilles.

Nous mîmes le cap sur l’Europe, et rachetant par un trajet des plus rapides ce que celui du Pacifique avait eu de trop lent, nous arrivâmes à Southampton, en face de l’île de Wight, en moins de douze jours. Il y avait près de deux mois que j’étais parti du Chili.

Je m’arrêtai à Londres avant de rentrer à Paris. Comme nous passions dans la Cité, Cadenac aspira l’air à plusieurs reprises : « Il me semble, s’écria-t-il, que je sens l’odeur du guano. » Et il revint sur son échantillon si tristement sacrifié : « Je le regretterai longtemps ; quelle perte pour l’Institut ! »

L. Simonin.



SUR LES GISEMENTS DU GUANO

DANS LES ÎLOTS ET SUR LES CÔTES DE L’OCÉAN PACIFIQUE,


PAR M. BOUSSINGAULT.


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(Après le récit pittoresque de M. Simonin, nous pensons qu’on pourra lire avec profit et intérêt l’extrait suivant d’un mémoire que notre illustre savant, M. Boussingault, a publié, il y a quelques années, dans les Annales du Conservatoire des arts et métiers[1].)

Les gisements de guano (huano de pajaro) sont répartis, sur le littoral du Pérou, entre le deuxième et le vingt et unième degré de latitude australe. J’ai vu les premiers dépôts dans la baie de Payta. En avançant vers le sud, on en trouve de distance en distance jusqu’à l’embouchure du rio Loa. En dehors de ces limites, le guano se rencontre encore, quelquefois même très-abondamment, mais alors il est à peu près dépourvu des sels ammoniacaux et des principes organiques auxquels il doit une grande partie de ses qualités.

On distingue, au Pérou, deux espèces de guano : 1o le huano blanco, consistant en déjections rendues depuis peu de temps : sa couleur claire est due à l’acide urique ; 2o le huano pardo, guano ancien, qui offre toutes les teintes intermédiaires comprises entre le gris sale et le brun foncé. Un passage de Garcilazo de la Vega, d’anciens documents, font présumer que, dans leurs cultures, les Péruviens utilisaient surtout le huano blanco. En effet, les ordonnances édictées par les Incas avaient particulièrement pour objet de protéger les oiseaux producteurs. Ainsi, la défense, sous les peines les plus sévères, de tuer les guanaes, même en dehors des huaneras, l’interdiction d’aborder les îlots

  1. Annales du Conservatoire impérial des arts et métiers, publiées par les professeurs sous la direction de M. Ch. Laboulaye, 1861 ; librairie scientifique, industrielle et agricole de E. Lacroix, 15, quai Malaquais.