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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/180

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pour avoir suggéré à la spéculation privée l’idée de fonder des hôtels, le gouvernement a bâti un bungalow (sorte de villa) simple, élégant, où tout voyageur peut s’installer confortablement, au prix d’une roupie par jour. Comme tous les indigènes aisés et la plupart des Anglo-Indiens voyagent avec au moins un domestique, le péon (gardien) du bungalow est tenu de mettre sa cuisine à leur disposition et de leur procurer à des prix modérés toutes les provisions dont ils ont besoin ; quant à ceux qui n’ont point de cuisinier avec eux, un mess-man attaché à l’hôtel leur fournit leurs repas comme ils l’entendent, d’après un tarif affiché ostensiblement dans toutes les chambres. Rien de plus commode pour le voyageur que le travellers’bungalow : il y trouve tout le comfort désirable, joint à une liberté et une tranquillité que donnent rarement nos hôtels européens ; pas d’empressements importuns et serviles, pas d’additions gonflées, pas le va-et-vient d’un monde affairé et bruyant, rien de cette agitation triviale qui n’a rien de choquant pour des Yankees, mais qui est une dissonance, une sorte de fausse note dans le grave et noble Orient. Un beau bois de palmiers, enclos dans le vaste jardin du bungalow, ajoute au charme qu’offre à mes yeux cette résidence d’un jour. Ce bois était, paraît-il, le seul groupe d’arbres qui existât à Kotree avant l’occupation anglaise.


Paysan du Scinde. — Dessin de Gilbert d’après une photographie tirée de l’ouvrage People of India.

Les travellers’bungalows sont sous l’inspection de l’ingénieur en chef du district : c’est à cet agent que le voyageur doit s’adresser pour se faire donner un permis de séjour au bungalow, s’il entend y rester plus de trois jours. La sanction de cette règle est assez curieuse. Si le voyageur néglige cette formalité, il n’est pas mis à la porte ou traduit à la police (ce qui lui arriverait infailliblement en France), mais il est défendu au messman de lui fournir à manger.


II


L’Indus. — Haïderabad. — Les pêcheurs du Scinde-Sakkar.

Sita, 19 mai. — J’ai pris passage pour Moultân à bord du Pharo, steamer de l’Indus Flotilla Company. Les eaux de l’Indus montent, et la navigation est reprise. Le voyage, en montant, est fort long : on me promet seize jours de traversée ; c’est à se damner corps et âme. Les prix sont à l’avenant, excessifs, comme dans tous les steamers anglais possibles : je paye 178 roupies pour moi et mon domestique. La table est passable, rien de plus. Il est fort heureux que ce soit le dernier steamer que j’aie à prendre jusqu’au retour : ma bourse se dégonflerait vite à voyager longtemps de la sorte.

Le premier coup d’œil jeté sur l’Indus est singulièrement imposant. Le fleuve sacré qui a donné son nom à l’Inde a ici une largeur supérieure à celle du Bosphore, et l’aplatissement de ses rives le fait paraître encore plus puissant. Son eau jaune et clapoteuse me rappelle, comme rapidité, le Tigre à Mossoul ; si sa profondeur répondait à sa largeur et à sa vitesse, les plus beaux fleuves que j’aie vus, le Rhin, le Danube, le Nil lui-même, seraient peu de chose à côté de lui. Mais toute cette mer d’eau douce, qui roule tumultueusement vers l’océan les neiges fondues de l’Himalaya, ternies en lavant au passage les plaines d’argile du Pandjâb, cette masse d’eau, dis-je, n’a que l’apparence d’un très-grand fleuve : en ce moment même où elle monte, la sonde trouve rarement plus de neuf pieds anglais, et reste souvent à quatre, à trois. Cela remet à leur vraie place des fleuves comme le Danube et le Nil, avec leurs abîmes, leurs tempêtes, leurs cataractes et leurs Portes-de-Fer. Je ne parle pas du