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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/209

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Une vue de l’Hydaspe. — Dessin de H. Clerget, d’après un croquis de M. G. Lejean.


LE PANDJAB ET LE CACHEMIR,


PAR M. GUILLAUME LEJEAN[1].


1866. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


VIII (suite).


Arrivée à Srinagar. — Une transmigration royale. — Chevaux. — Bayadères. — Châles du Cachemir. — Mécomptes.

Pendant que je repasse en ma mémoire ces contes poétiques, je vois successivement apparaître le couvent bouddhique de Takt-ï-Suleiman sur son rocher, puis la citadelle délabrée et pittoresque de Srinagar, le courant devient plus fort, je passe successivement sous plusieurs ponts couverts de boutiques comme nos ponts de Paris au moyen âge, et je vois s’allonger à droite et à gauche les vieux quartiers de la Venise indienne, comme on l’appelle ici. Je suis fort inquiet de trouver à me loger, car le touriste abonde, à ce que j’ai appris, et les bungalows abondent beaucoup moins. Pendant que je médite ce point fort sérieux, mon canot se croise avec une belle barque qui se promène lentement sur le fleuve ; un fort bel homme à barbe noire partagée par une raie comme la chevelure d’un de nos cocodès (c’est le meilleur genre au Cachemir) m’envoie de la main un grand salut et hêle mes hommes : nous nous abordons ; il me parle en bon anglais avec volubilité, s’informe de mes noms et qualités qu’il inscrit sur un registre : You are Englishman, are you ? — Na, Frenchman. — Oh ! Et nouveau salut. Je lui fais part de mon embarras : il me promet d’y pourvoir, donne une indication à mes hommes, et nous nous quittons. Deux minutes après, j’aborde au pied d’une maisonnette où je parviens à me procurer un appartement fort peu confortable, mais qui ferme à clef, c’est l’essentiel. Au bout de deux heures, un cipaye arrive escorté de trois coulies qui viennent déposer à mes pieds un mouton et force provisions, pain, riz, légumes, et jusqu’à un pain de sucre : c’est le présent de bienvenue que d’après l’usage du pays le maharadjah fait à ses visiteurs. Me voilà assuré contre le besoin pour quarante-huit heures : mais dès le lendemain une heureuse rencontre me fait trouver une hospitalité gracieuse et empressée chez deux jeunes négociants français à demi acclimatés au Cachemir, MM. Gosselin et Dauvergne.

Mon premier soin est de chercher près de la ville un observatoire d’où je puisse en embrasser l’ensemble et la contempler à l’aise. Pour cela je grimpe à un pic aigu surmonté d’un beau couvent bouddhiste et qui domine la ville absolument comme le Lycabète et son couvent de Saint-Georges dominent la nouvelle Athènes. Ce pic s’appelle Takt-ï-Suleiman, le trône de Salomon, et le coup d’œil qu’il m’offre est d’une splen-

  1. Suite. — Voy. pages 177 et 193.