ce malheureux cotre le Secret démâté, déchiqueté, et se représentait en imagination les scènes terribles dont il avait été le théâtre. Dans ces circonstances, ce qui augmente encore l’horreur, c’est moins la mort même des victimes que la pensée du festin qui la suit ; aussi le mot vengeance se lisait-il sur tous les visages et l’on n’attendait plus qu’un mot du chef pour agir.
Nous avions donc à punir dans cette partie de la Nouvelle-Calédonie, outre le meurtre du colon Taillard assassiné en juillet dernier à Houagap, le massacre des équipages de la Reine-des-Îles et du cotre pilote le Secret à Pouangué.
L’assassin de Taillard était un Kanak du clan du chef Poindi-Patchili dont j’avais visité le village en compagnie du docteur Vieillard, ainsi que je l’ai dit plus haut. Ce chef et son allié, le turbulent Gondou, ne laissaient aucune paix à leurs voisins et en étaient détestés. Gondou surtout avait parmi les Kanaks une grande réputation de férocité ; un indigène, nous parlant de cet homme farouche, nous disait dans le langage usité sur la côte : « Gondou, he no allsame man he allsame poika ; he look one Kanak he houo-houo ; he kai kai plenty man. » Gondou n’est pas comme un homme, mais comme un chien. S’il voit un Kanak, il aboie contre lui ; il mange beaucoup d’hommes. »
Ces deux chefs se croyaient bien en sûreté dans
leurs montagnes et étaient loin de s’attendre à notre
visite ; s’ils ne s’étaient jamais présentés à nous
pour faire leur soumission, on n’était pas non plus
allé dans leurs montagnes pour l’obtenir. Cette fois les
Kanaks de la baie Chasseloup dans une pirogue. — Dessin de Jules Noël d’après une photographie de M. E. de Greslan.
mesures les plus sévères furent prises. Le gouverneur
fit partir de Houagap un petit corps de troupes, chargé
de venir nous rejoindre à la baie Chasseloup après
avoir traversé les territoires des chefs Gondou et
Poindi-Patchili dont-il devait exiger la soumission
absolue ; il avait ordre de passer par les armes tout ce
qui résisterait à la marche de la colonne. Ce détachement,
commandé par le capitaine d’infanterie de marine
Billès, se composait d’un sous-lieutenant et de
soixante hommes, sous-officiers et soldats suivis d’un
contingent de cent quatre-vingt-dix Kanaks, conduits
par six chefs alliés. M. Billès devait calculer sa marche
de façon à opérer sa jonction à Koné avant d’arriver
à la baie Chasseloup avec un autre corps expéditionnaire
parti le 8 septembre de la côte ouest.
Parti de Houagap le 5 septembre, le capitaine Billès avait atteint Gaté le huitième jour de son départ. Après avoir châtié les tribus hostiles, il se rendit dans la tribu des Hounouas commandée par le jeune chef Dongo, heureux de faire alliance avec nous dans cette circonstance et de pouvoir enfin se venger de ce redoutable Gondou qui envahissait sa tribu à chaque instant, et, lorsque le 8 au matin le corps expéditionnaire quitta la tribu des Hounouas, se dirigeant vers la baie Chasseloup, ce jeune chef suivit la marche de la colonne à la tête de ses guerriers.
(La suite à la prochaine livraison.)