en passant des torches enflammées sur les cases qui flambèrent en quelques minutes. Nous rejoignîmes ainsi le gros de la troupe et je présentai le prisonnier au capitaine.
Notre jeune Kanak était un garçonnet complétement nu ; mais nos soldats l’eurent bientôt vêtu de la façon la plus pittoresque, tout en veillant attentivement à ce qu’il ne pût s’échapper au milieu des broussailles. C’était le premier prisonnier que l’on eût fait depuis le commencement des affaires et on y tenait beaucoup. Quant à lui, de grosses larmes coulaient de ses yeux, mais il ne poussait aucune plainte ; il marchait aussi vite que nous, allongeant ses petites jambes ; seulement lorsqu’un coup de carabine retentissait ou que de nouvelles cases devenaient la proie des flammes, de gros sanglots soulevaient sa petite poitrine.
Le premier village étant brûlé et ses habitants dispersés,
toute la colonne redescendit dans la vallée que
nous continuâmes à remonter. Bientôt celle-ci nous apparut
plus spacieuse, très-fertile et très-habitée. Mais
l’alarme était donnée et nous ne trouvâmes que des villages
déserts dont les habitants fuyaient devant nous,
en nous accablant d’injures ; ils saisirent même l’occasion
d’une halte, pour nous entourer d’une ceinture
de feu. Ils avaient enflammé les herbes autour de nous
Station de Squatter. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie de M. E. de Greslan.
et grâce à la brise qui s’était élevée, l’incendie se propageait
rapidement ; mais nous avions deviné leurs intentions
et nous eûmes encore le temps de nous réfugier
au milieu d’un bouquet d’arbres verts et humides
où le feu ne pouvait pénétrer. Là, tout en déjeunant et
prenant un peu de repos, nous attendîmes la fin de
l’incendie qui nous environnait et qui à en juger par sa
violence aurait pu nous être funeste, si nous n’avions
pu gagner cet asile.
Le déjeuner fut assez gai, quoique à chaque instant interrompu par les horribles hurlements de nos ennemis. Le lieutenant Bourgey était de l’expédition ; doué d’une gaieté toute française, il baptisa avec du vin notre prisonnier, tout en déclamant avec le plus grand sérieux une églogue de Virgile. Nos alliés les Kanaks écoutaient attentivement, croyant fermement que ces actes se pratiquaient chez les Français lorsqu’ils avaient fait un prisonnier. Ils ont dû plus d’une fois déjà raconter ceci à leurs compagnons comme un des traits saillants des coutumes françaises.
À onze heures, le lieutenant, M. Bourgey, fut envoyé avec vingt-cinq hommes et un chirurgien, M. Desplanches, pour repousser les hordes qui nous entouraient et brûler quelques petites cases que l’on voyait au loin s’étageant par petits groupes sur les versants de la vallée. Je me joignis à ce petit corps expéditionnaire.