Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 18.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XX


Retour en France. — Dernières nouvelles de la colonie. — Notice sur un chef indigène.

Le 25 octobre, je rentrai à Nouméa sur le Fulton ; peu de jours après, je profitai d’une frégate en partance pour Taïti, afin d’effectuer mon retour en France.

Comme je l’ai dit, la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie était restée à peu près inconnue jusqu’à l’expédition dont je viens de parler. Cette expédition, la première qu’on ait tentée sérieusement dans ces parages, nous démontra que cette côte surpassait peut-être en fertilité les autres parties de l’île. Tous les villages que nous visitâmes dans les vallées qui remontent jusqu’au centre même de l’île, sont dans des situations charmantes. J’ai parlé de la belle plaine de Gatope, de la longue et fertile vallée de Noh. Viennent ensuite les territoires de Gondou, d’Ounoua, etc., qui présentent d’immenses pâturages toujours tenus frais et féconds par d’innombrables sources et ruisselets. Puis des milliers de petits vallons au sol fertile sont autant de serres à l’abri des vents trop violents et dans lesquelles le café, la canne à sucre, etc., pousseraient vigoureusement ; enfin des ports sûrs échancrent cette côte qui, de plus, est la plus voisine de l’Australie, pays appelé à consommer ses produits. En résumé, je crois pouvoir affirmer que cette côte de la Nouvelle-Calédonie est appelée à un brillant avenir.

Quant à Gondou et Poindi-Patchili, encore imprenables au milieu de leurs hautes montagnes, ils se vengent des excursions que nous avons faites contre eux en mangeant autant qu’ils le peuvent nos malheureux alliés de la montagne, leurs voisins, qui ne peuvent guère éviter ou repousser les invasions de ces terribles champions. Je ne crois pas calomnier ceux-ci en attribuant à leur influence, plus ou moins directe, un attentat qui, juste deux ans après mon départ, a mis en émoi toute la colonie, et en terrible suspicion la foi religieuse des indigènes de Poébo, tous, ou presque tous, convertis au catholicisme. Le Moniteur de la Nouvelle-Calédonie rend ainsi compte de cet événement, à la date du 25 octobre 1867.

« … Nous avons une sinistre nouvelle à annoncer ce mois-ci : dans la soirée du 6 de ce mois, les indigènes de la tribu de Poébo ont assassiné le commandant de leur circonscription, le sieur Bailly, maréchal des logis de gendarmerie, un gendarme, un colon avec ses deux jeunes enfants et un indigène d’Ouvéa. La femme du colon, Mme Démené, blessée de deux coups de hache, s’est sauvée miraculeusement.

« Les meurtriers ont ensuite attaqué l’établissement du capitaine Henry. Les Néo-Hébridais, au service de ce colon, ont défendu leur maître ; dans la lutte, le fils de M. Henry a reçu trois coups de casse-tête, qui heureusement ne mettent pas ses jours en danger. Trois indigènes des Nouvelles-Hébrides et un insulaire de Lifou ont été tués. Les magasins de plusieurs colons ont été pillés par les assassins.

« La goëlette de l’État la Calédonienne, emmenant le chef du service judiciaire et le capitaine d’état-major Bourgey, avec un détachement de vingt hommes, est partie d’ici le 20 octobre pour Poébo.

« Aujourd’hui, la frégate à voiles la Sibylle, qui se trouvait heureusement sur notre rade, part pour la même localité avec le gouverneur lui-même.

« Dans quelques jours, les forces réunies à Poébo se composeront de cent hommes, en y comprenant la compagnie de débarquement de la Sibylle, et ces atrocités recevront le châtiment qu’elles méritent.

« Elles ont produit ici une sensation d’autant plus pénible que les dernières nouvelles de cette partie de l’île étaient meilleures : le même chef de poste qui vient d’être assassiné annonçait que les influences fâcheuses exercées par les ennemis de la colonisation semblaient diminuer. C’était le calme qui précédait la tempête. »

J’ai connu personnellement le maréchal des logis Bailly auquel était confié le poste de Poébo. C’était un homme probe, doux, humain, aimant la population du district qu’il dirigeait depuis quatre ans, je crois, et qui paraissait aimé d’elle. À quelque suggestion que celle-ci ait cédé dans la catastrophe dont ce franc militaire a été victime, cet événement n’a pas trouvé parmi la masse indigène de l’île le retentissement et l’écho qu’on a paru craindre un moment à Nouméa même. Les moyens de résistance à la domination européenne sont trop épars, trop hostiles l’un à l’autre pour constituer jamais un soulèvement contre nous. Quant aux éléments de dissolution que renferme la société sauvage, on peut en juger par la notice suivante sur un chef calédonien que j’ai beaucoup connu :

À douze lieues environ au nord de Nouméa et sur la côte ouest, il existe, près de l’embouchure d’une petite rivière qui arrose une vallée étroite et boisée, un village indigène du nom de Naniouni, composé de quelques huttes espacées çà et là par le caprice de chaque occupant ; c’est en ce lieu qu’habitait Waton ; sa demeure se distinguait des autres par une certaine élégance de forme, sa grande dimension et par un fini et un confortable relatifs.

Les relations de Waton avec les Européens datent de la prise de possession de la colonie, époque où il joua un rôle assez actif dans l’histoire franco-calédonienne ; son grand-père, Poré, possédait un grand territoire, mais ses deux fils, qui régnèrent successivement après lui, ne surent pas conserver l’influence qu’avait leur père ; leur tribu fut démembrée à la suite d’une coalition de petits chefs qui secouèrent le joug et reprirent leur indépendance. Waton n’eut donc comme succession que les plaines qui s’étendent des rivages du port Laguerre aux montagnes du centre. Ce fut au milieu de son paisible règne que le gouverneur du Bouzet, jetant à Nouméa les fondations de la capitale, devint subitement pour lui un voisin des plus redoutables ; sans doute alors, dès le début, il s’associa aux naturels de cette partie de l’île qui essayèrent par tous les