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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/65

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Ronde de nuit. — Dessin de A. de Neuville d’après une photographie.


LE JAPON,


PAR M. AIMÉ HUMBERT, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE.[1]


1863-1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




Le Hondjo.

À mesure que le champ de nos études s’agrandissait et nous donnait chaque jour de nouveaux sujets de satisfaction, nous voyions avec peine nos relations avec le Castel devenir de plus en plus difficiles. À en croire certains indices, une rupture entre le Japon et l’Angleterre paraissait imminente. Le parti féodal l’appelait de ses vœux et sollicitait même le taïkoun de prononcer l’expulsion de tous les étrangers indistinctement. Des menaces avaient été proférées dans les conseils des daïmios contre la dynastie régnante. Une rencontre nocturne dans laquelle les gens du Castel eurent le dessus faisait parmi nos yakounines le sujet de mystérieuses conversations, dont nous ne pûmes tirer autre chose, sinon qu’un célèbre chef de lonines était resté sur le carreau et que l’affaire avait eu lieu dans notre voisinage. Enfin, nous fûmes témoins, sur le Tokaïdo, d’une scène qui, toute muette et inoffensive qu’elle était, ne laissait pas que d’avoir sa signification. Une cinquantaine de yakounines composaient dans ce moment notre escorte, et nous marchions avec un certain abandon, sans autre souci que d’observer de notre mieux, en cheminant, les étalages des magasins. Tout à coup une singulière agitation se manifeste parmi nos hommes, et je les vois former des files, presser le pas et serrer les rangs sur le trottoir de droite, tandis que devant nous une troupe beaucoup plus nombreuse débouche d’un coude que formait la rue, et se développe lentement sur le milieu de la voie publique. On distinguait quelques cavaliers derrière les lances et les enseignes du cortége. Je n’obtins que des réponses évasives de l’interprète auquel je m’adressai pour savoir à quel prince cette troupe appartenait. Nos yakounines, sombres et silencieux, en épiaient les moindres mouvements et se tenaient sur leurs gardes comme si, d’un instant à l’autre, ils allaient être dans le cas de dégaîner. Les deux bandes défilèrent, chacune de son côté, à dix pas de distance, sans un mot, sans un signe de provocation, mais en se jetant réciproquement des regards dont l’expression farouche, haineuse, sanguinaire, ne laissait aucun doute sur la violence des agitations politiques dont les régions officielles de la capitale étaient alors le théâtre.

En rentrant au Tjoôdji, nous en trouvâmes la garnison renforcée et occupée à mettre la place en état de défense. Des charpentiers, sous la direction d’officiers qui m’étaient inconnus, dressaient une haute palissade entre la vérandah de notre salle à manger et le mur de clôture de la bonzerie voisine. Des coulies apportaient

  1. Suite. — Voy. t. XIV, p. 17, 33, 49, 65, 305, 321, 337 ; t. XV, p. 289, 305, 321 ; t. XVI, p. 369, 385, 401.