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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/67

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après minuit, vous livrer dans ma chambre à l’exercice du tremplin. »

Néanmoins, tout en grommelant de la sorte, le ministre s’habillait et faisait jouer les ressorts de ses revolvers. De leur côté, ses gens accouraient en armes sur la vérandah. Quand ils s’avancèrent dans le jardin, sous sa direction, tout était fini ; l’on transportait des hommes de la garde grièvement blessés, et l’on relevait sur le préau le cadavre d’un lonine.

Jamais l’on n’a pu obtenir du Castel le moindre éclaircissement sur ce qui s’était passé. Quant à nous, notre veille n’ayant été marquée par aucun événement, nous devisâmes comme d’habitude, au premier déjeuner, du meilleur emploi de la journée ; et comme nous ne pouvions nous dissimuler que notre séjour à Yédo n’approchât de son terme, nous convînmes de mettre à profit le peu de temps qui nous restait encore, pour compléter, autant que possible, nos tournées de magasins et notre choix de curiosités de l’industrie indigène.

Nous visitâmes dans ce but la partie méridionale de la Cité jusqu’au pont dit de Yédo, qui est au sud de celui de Nippon, et sur le même canal ; et une section de notre troupe, se dirigeant de là vers l’O-Bassi, passa sur la rive gauche du grand fleuve, dont elle parcourut à cheval les principaux quais et les rues les plus populeuses.


Fileuse de coton. — Dessin de Staal d’après une photographie.

On divise toute cette longue zone orientale de Yédo en trois quartiers, savoir : au nord, celui de Sémida-Gawa ; au centre, le Hondjo proprement dit ; et au sud, sur le bord de la baie, le faubourg de Fouka-Gawa.

Le quartier du nord est en majeure partie occupé par des rizières, des jardins potagers, de vastes établissements d’horticulture et de fraîches maisons de thé, situées dans le voisinage du fleuve ou au fond de grands vergers de poiriers, de pruniers et de cerisiers.

À côté des habitations rurales, qui paraissent être dominantes, on remarque des fabriques de tuiles et de grosse poterie, des usines d’ustensiles de cuisine en fer, des papeteries, des ateliers pour le nettoyage et la préparation du coton, des filatures domestiques de coton et de soie, des étendages de teinturiers, des boutiques de tisserands, de vanniers et de dresseurs de nattes.

L’industrie japonaise n’utilise pas encore le travail des machines. On voit pourtant des fonderies de fer dont les soufflets sont mus par une roue hydraulique, sur laquelle l’eau est amenée par des conduites en gros tronçons de bambou. Le combustible se compose de charbon de bois et de charbon de terre ; le premier est d’excellente qualité.

Les femmes ont leur part de labeur dans toutes les professions industrielles, et celles-ci sont toujours groupées autour du foyer domestique. Il n’existe pas de grandes manufactures au Japon. L’on n’y connaît ni le travail, ni la population des fabriques. Les gens de la classe ouvrière vaquent en famille à leurs divers métiers, les interrompent pour manger quand ils ont faim, et pour se reposer quand il leur plaît. Dans une société de six artisans des deux sexes, il y en a presque constamment un ou deux qui fument leur pipe, et assaisonnent de gais propos le travail de leurs camarades.

Ainsi se développent et se transmettent, de génération en génération, cet instinct de sociabilité, ce fonds de bonne humeur et cet esprit de repartie qui caractérisent généralement la petite bourgeoisie de la capitale.

Les quartiers du Hondjo et de Fouka-Gawa sont construits sur un plan dont le cadre est de la plus parfaite régularité. Ils sont bornés au sud par la baie ; à l’ouest par l’O-Gawa ; à l’est par une petite rivière, et au nord par un canal qui les sépare du quartier de Sémida-Gawa. Deux canaux les traversent du nord au sud dans toute leur longueur, et trois de l’ouest à l’est dans toute leur largeur. Il résulte de cette distribution que le Hondjo se divise en quatre parties égales ou quatre parallélogrammes allongés, deux au sud de Sémida-Grawa, deux au nord de Fouka-Gawa, et que ce dernier quartier pareillement a ses quatre parallélogrammes : deux au sud du Hondjo, et deux sur la baie.

À Yédo, comme dans d’autres capitales traversées par un fleuve, c’est un monde à part que celui de la