de toutes les classes de la société pour les fleurs gigantesques et pour les arbres nains. J’ai vu des aquariums de dimensions quelque peu exceptionnelles, où l’on avait su réunir les éléments d’un paysage complet : un lac, des îles, une partie de rochers, une cabane sur la plage, et au sommet des collines un vrai bosquet de bambous et de cèdres en miniature ; parfois même on y ajoutait quelques figurines lilliputiennes allant et venant à l’aide d’une manivelle, comme les faux automates des orgues de Barbarie.
Cette sorte d’enfantillage se retrouve dans une foule de détails de la vie japonaise. Ici, on apporte une jonque en porcelaine au milieu d’un cercle de convives : cette jonque se démonte en diverses pièces qui constituent tout l’assortiment des ustensiles nécessaires pour servir le thé. Là, une partie de la vaisselle d’un repas se compose de tasses si mignonnes, en porcelaine si fine, si transparente, si légère, que l’on ose à peine y toucher du bout des doigts. Il y a des tasses et des coupes de cette porcelaine, dite coquille d’œuf, qui sont protégées au moyen d’une enveloppe admirablement tressée en filaments de bambou.
On orne les salons de cages à papillons et de volières surmontées d’un vase à fleurs d’où pendent de tous côtés des plantes sarmenteuses, qui font apparaître les oiseaux comme nichés sous un dôme de verdure. Les lanternes de papier suspendues au plafond de la vérandah, ont fréquemment pour appendice une clochette de verre de couleur, et la mince et longue aiguille de métal qui en forme le battant, supporte par un fil de soie un léger ruban de papier teint ou doré. Au moindre souffle de brise, ces bandes de papier s’agitent, les aiguilles de métal tremblent et heurtent les parois des clochettes de verre, et les sons qui s’en échappent se confondent ensemble dans une vague mélodie, semblable aux vibrations de la harpe éolienne.
Les Japonais ne connaissent pas la fabrication des vitres et des bouteilles ; mais ils aiment à faire toutes sortes de petits objets en verre : des flacons à eau de senteur, des pipes à fourneau blanc et à long tuyau bleu, des tasses blanches au fond desquelles repose un crabe rouge, qui monte à la surface à mesure qu’on verse le liquide dans le vase ; enfin des boules à demi remplies d’eau teinte d’une vive couleur, ornement qui s’adapte aux épingles des coiffures féminines.
On m’a montré à Yédo des essais de peinture sur verre et d’ouvrages en émail, qui dénotent plus de bonne volonté que de science. Je citerai pourtant, au nombre des curiosités indigènes vraiment originales, ces petites boules en pierre, percées, taillées à facettes et enrichies d’arabesques émaillées, que les étrangers recherchent pour faire des colliers, et que l’on emploie sur place en guise de glands de cordons de soie, ou pour en confectionner des rosaires.
La nacre rivalise avec l’émail dans certaines miniatures que l’on applique sur du métal.
L’art du doreur réside tout entier dans l’application de minces feuilles d’or aux objets de genre fort divers que l’on juge dignes de cette décoration, entre autres des gloires et des auréoles de saints pour le culte bouddhiste, des cadres d’enseignes de théâtre, des sculptures d’entablements d’autels, des hampes de bannières sacrées et des lances d’étendards militaires, ainsi que des feuillets de paravents du style noble, étalant sur un fond d’or de grandes esquisses à deux pinceaux tracées du premier jet, à l’encre de Chine, et représentant des scènes de chasse ou des croquis de chevaux.
Outre ces dernières compositions, qui ne manquent ni de verve ni d’originalité, l’on m’a fait remarquer quelques sujets de genre peints sur une couche de sable d’or si bien collée aux planches du tableau, que celui-ci peut être encadré et suspendu sans qu’il soit besoin de le mettre sous verre. De pareils ouvrages n’ont d’autre charme qu’un vain éclat joint au mérite de la difficulté vaincue ; ils sortent tout à fait du domaine de l’art populaire, et doivent se rattacher, soit à l’art monastique du bouddhisme, soit à la vieille école des miniaturistes de Kioto, qui se distinguent également par leur prédilection pour les fonds dorés.
Quoi qu’il en soit, les relations des anciennes ambassades ont singulièrement exagéré la richesse de décoration des palais ou de l’ameublement des Mikados et des Siogouns. La vérité est, au contraire, qu’il n’existe pas de royale résidence en Europe qui ne représente une plus grande valeur intrinsèque que les bâtiments impériaux de Kioto et de Yédo.
Comme l’a très-bien fait observer M. Du Chesne de Bellecour, dans un article de la Revue des Deux-Mondes, relatif à la triple exposition japonaise du Champ de Mars, le luxe des Japonais est plutôt artistique que somptueux. Nulle part, si ce n’est sur les diadèmes du Mikado et de la Kisaki, on ne les voit prodiguer l’or non plus que les pierreries. Les grands de l’empire mettent tout leur orgueil dans l’ancienneté des objets qui composent leur mobilier. Rien n’a plus de prix à leurs yeux qu’un service assorti en vieille porcelaine naturellement craquelée, ou des vases de bronze antique, lourds, massifs, noirs et polis comme du marbre, ou enfin des meubles et des ustensiles en ce vieux laque à poudre d’or mat que l’on nomme salvocat.
Il n’existe, à proprement parler, ni orfévres ni joailliers au Japon. C’est un pays qui possède la serpentine, la malachite, l’améthyste, la topaze, et cependant l’on n’y voit personne, pas même les femmes les plus coquettes, se parer de joyaux et de bijoux. Leur seul luxe, après celui des étoffes, consiste à charger le lourd édifice de leur coiffure, de grosses épingles d’écaille ou de métal ornées de pièces rapportées dont les sujets sont emblématiques. Il ne faut donc pas s’étonner que les ouvriers lapidaires de Yédo n’aient rien de mieux à faire que de tailler des cristaux de roche. Les courtiers en vogue ne manquent jamais d’en offrir aux Européens de fort beaux exemplaires parfaitement polis et