élève une lugubre barrière autour du cadavre, elle mêle ses sanglots aux soupirs et aux paroles de consolation des nombreux visiteurs. Mais aussitôt que les ensevelisseurs paraissent, elle se relève et les assiste dans tous les préparatifs dont ils sont chargés. La tête du mort doit être complétement rasée et son corps soigneusement lavé, à grandes douches d’eau tiède, dont on l’inonde dans la chambre de bain, en le tenant assis sur un baquet retourné. Quand les coulies l’ont essuyé, ils le soulèvent avec respect pour l’introduire dans son cercueil. L’opération n’est pas toujours facile. Les riches Japonais, qui sont pour le principe de l’inhumation, aiment à reposer en terre, accroupis dans d’énormes jarres, chefs-d’œuvre de la poterie indigène. Il faut, dit-on, une certaine dose d’énergie, appuyée de vigoureux poignets, pour faire passer successivement, par le col étroit de la jarre, le torse, le buste, et surtout les deux épaules du défunt.
Les gens de la petite bourgeoisie et du bas peuple adoptent pour cercueil un simple tonneau de douves de sapin, cerclé en écorces de bambou.
Soit qu’on le conduise en terre, soit qu’on le mène
au bûcher, c’est là, dans cet étroit espace, que l’on accroupit
le cadavre, la tête baissée, les jambes repliées
sous le corps, et les bras croisés sur la poitrine : admirable
symbolisme, qui consacre, sous une forme
Mendiants à la porte d’un mort. — Dessin de A. de Neuville d’après une peinture japonaise.
plus éloquente que les sentences d’une épitaphe, le
dogme d’une vie future ! Car ce n’est nullement par
hasard que les Japonais donnent à leurs morts l’attitude
de l’enfant dans le sein maternel. Pourquoi tairais-je,
en effet, l’acte final, le trait le plus significatif
des adieux suprêmes ? Toute réticence serait regrettable
en un sujet si solennel. Au moment où les coulies
vont poser le couvercle sur le cercueil, cette pieuse
femme qui a suivi dans toutes leurs phases les lugubres
apprêts de l’ensevelissement se penche une dernière
fois sur le cadavre et lui glisse entre les mains
le viatique le plus étrange sans doute, mais peut-être
aussi le plus remarquable, de toutes les mythologies
de l’antiquité. Ce n’est autre chose qu’une petite feuille
de papier ployée en quatre, contenant un tronçon du
lien qui unissait le défunt à sa mère, à l’instant où il
vint au monde. Quand l’amour maternel, ou son héritier
auprès du défunt, a confié aux mystères de la
tombe cet emblème naïf d’une naissance à venir, quand
il a déposé sous cette forme bizarre son humble protestation
contre le triomphe apparent de la mort, aussitôt
le cercueil se ferme, et la plus importante des
cérémonies funèbres nationales, la vraie solennité domestique,
est accomplie.
Tout le reste ne sont que pratiques superstitieuses, vaines pompes et pures formalités, où l’exorcisme al-