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Page:Le Tour du monde - 30.djvu/110

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industrie qui avait été longtemps la principale ressource de ses habitants. Cent trois navires avaient été construits en 1866 sur les mêmes chantiers qui en ont lancé seulement une vingtaine en 1872. On parlait beaucoup en 1873 de créer des manufactures capables d’assurer à la capitale du Bas-Canada une prospérité matérielle digne de son importance politique, et d’amener dans ses murs les nombreux ouvriers qui émigrent aux États-Unis. Quant au commerce, si Montréal attire la plus grande partie des navires d’outre-mer qui passent aujourd’hui sans s’arrêter devant le cap Diamant, Québec a du moins conservé le monopole de l’exportation des bois. Tout ce que la vaste Confédération canadienne tire de ses forêts pour l’envoyer en Europe vient se rassembler en radeaux immenses le long des rives du Saint-Laurent, en amont et en aval de la ville, notamment au pied de la cascade du Montmorency. L’exportation des bois du Canada pour les États-Unis et l’Angleterre s’est élevée en 1872 à près de cent vingt millions de francs, dont cinquante millions pour la part de Québec.

En résumé, pour un touriste français surtout, Québec est encore celle des villes de l’Amérique du Nord qui inspire le plus d’intérêt et dont la vue laisse les meilleurs souvenirs. L’esprit un peu stationnaire qui y règne et dont se plaignent parfois ses habitants, lui a valu du moins de conserver un air d’antiquité qui contraste singulièrement avec le manque absolu d’originalité de la plupart de ses rivales. Ses environs sont charmants en été, et l’hiver y est la saison des plaisirs et des réunions animées. Les sporting clubs de toute espèce fournissent aux jeunes gens des divertissements sains et fortifiants pour chaque période de l’année. Courses de chevaux et d’équipages, courses à pied, canotage, gymnastique, match de patineurs, parties de cricket anglais et du jeu indien de la crosse, concours de coureurs en raquettes, excursions lointaines pour chasser l’orignal et le caribou (non sans danger d’être parfois dérangé par un ours) se succèdent suivant les saisons. De juillet à septembre, les rives du bas Saint-Laurent sont envahies par la foule des valétudinaires américains qui fuient les chaleurs dont les accable le climat de la Nouvelle-Angleterre. La température estivale baisse en effet très-rapidement à mesure qu’on se rapproche du golfe. De dix-huit degrés centigrades à Québec, la moyenne de juillet et d’août tombe à quatorze degrés au cap Rosier, à l’extrémité de la presqu’île de Gaspé. Mais la médaille à son revers. Les baigneurs, les touristes de la Malbaie, de Gaspé, de Cacouna, ont un ennemi terrible qui change parfois en une désolante claustration les plaisirs qu’ils s’étaient promis. Cet ennemi, c’est le vent du Nord-Est, si bien décrit par M. Chauveau, à la fois poëte, romancier, homme d’État, et l’un des derniers présidents du Sénat fédéral. « C’est pour le district de Québec, dit cet élégant écrivain, c’est un véritable fléau que le vent du Nord-Est. C’est lui qui, pendant des semaines entières, promène d’un bout à l’autre du pays les brumes du golfe. C’est lui qui, au milieu des journées les plus chaudes et les plus sèches de l’été, vous enveloppe d’un linceul humide et froid, et dépose dans chaque poitrine le germe des catarrhes et de la pulmonie. C’est lui qui interrompt, par des pluies de neuf ou dix jours, tous les travaux de l’agriculture, toutes les promenades des touristes, toutes les jouissances de la vie champêtre. C’est lui qui, durant l’hiver, soulève ces formidables tempêtes de neige qui interrompent toutes les communications et bloquent chaque habitant dans sa demeure. C’est lui enfin qui, chaque automne, préside à ces fatales bourrasques, causes de tant de naufrages et de désolations, à ces ouragans répétés et prolongés qui à cette saison rendent si dangereuse la navigation du golfe et du fleuve. »


III

Excursions autour de Québec. — La cascade du Montmorency. — Exploitation des touristes. — Lorette. — Un village indien. — Les derniers des Hurons. — Un notaire chef de tribu.


Il y a une foule d’excursions à faire aux environs de Québec : les cascades de la Chaudière, de la Sainte-Anne et du Montmorency, le village de Lorette, où vivent les derniers représentants de la nation Huronne, les jolis lacs de Saint-Charles et de Beauport.

La cascade du Montmorency, située à douze ou treize kilomètres de la ville, a déjà été décrite dans le Tour du Monde. Ce qui gâte un peu la poésie du spectacle, c’est l’esprit de spéculation qui, là comme en maint endroit de la Suisse, de l’Allemagne et des États-Unis, s’empresse de prélever un impôt exorbitant sur la curiosité du touriste. Les propriétaires des environs ont élevé des barrières sur tous les sentiers conduisant aux emplacements les mieux situés pour contempler la cascade, et à chacune de ces barrières on rançonne le voyageur. Cette spéculation éhontée des beautés de la nature m’a toujours paru souverainement révoltante, et bien souvent je n’ai pu m’empêcher d’exprimer tout haut mon sentiment.

Nouveau débarqué, je ne pouvais laisser échapper la première occasion qui m’était offerte de voir de près des rejetons de la race indigène. Je savais qu’à Lorette, à seize kilomètres environ de Québec, vivait une petite colonie de Hurons, descendants des quelques familles échappées à la destruction de toute leur nation par les Iroquois. M. R…, l’un des passagers français du Moravian, m’offrit de m’accompagner dans mon excursion, et, après avoir parlementé avec un « charretier » québécois, — c’est le nom que l’on donne là-bas à l’honorable corporation des cochers de place, qui n’ont pas encore songé à s’en formaliser, — nous partîmes à la recherche de ces hommes rouges, débris presque ignorés d’une catastrophe qui date pourtant de deux siècles à peine. Races ou individus, les morts vont vite en tous pays, et surtout sur ce continent américain, où le flot montant de la civilisation recouvre si vite les vestiges du passé.