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de philologie américaine ne pourront bientôt plus étudier que dans les travaux des premiers missionnaires. Avant de partir pour Lorette, j’avais meublé ma mémoire d’un assortiment d’anecdotes anciennes, toutes à la gloire de la nation huronne, notre fidèle alliée durant nos longues guerres contre les Anglais et les Iroquois. Je ne tardai pas à en trouver le placement dans la personne d’un brave homme de la localité, au type plus franchement peau-rouge que la plupart de ses compatriotes, et qui me parut joindre à un très-grand amour pour les « Français de France » une inclination non moins prononcée pour le verre de whisky. Nous causâmes un bon moment ensemble — « une bonne escousse, » comme on dit là-bas — du passé et du présent de sa nation.

Quand vint le moment de nous séparer, il me serra vigoureusement la main, en s’écriant avec le plus pur des accents normands : « Ah m’sieu, j’vois ben qu’pour un Françâ d’France vous connaissez ben not’ nation tout de même ! J’en jâserais ben volontiers une veillée avec vous ! » Une veillée et une jâserie ! décidément j’étais en pleine Neustrie.

La Douane à Québec. — Dessin de A. Deroy, d’après une photographie.

À propos de ce mot « sauvage », il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer que si en France le mot « Indien » est aujourd’hui généralement employé pour désigner les indigènes américains, il n’en est pas de même au Canada. Les premiers colons français disaient « les sauvages », et aujourd’hui encore, dans tous les documents officiels canadiens écrits en langue française, c’est le mot « sauvage » qui est exclusivement employé pour traduire le mot anglais indian. Au reste, cette appellation n’est aucunement prise en mauvaise part, non plus que le féminin « sauvagesse », et le voyageur ne doit nullement s’étonner d’entendre dire par un jeune homme de Lorette, du Sault Saint-Louis ou de Bécancour : « Oh moi ! je suis à moitié sauvage ; mon père est un Canadien, mais il s’est marié avec une sauvagesse, et je parle aussi bien en sauvage qu’en canadien. »

H. de Lamothe.

(La suite à la prochaine livraison.)