Page:Le Tour du monde - 30.djvu/133

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Gilmour, etc., et qui, si des lois conservatrices n’interviennent bientôt, auront irrémédiablement saccagé en quelques dizaines d’années la principale richesse dont le travail fécond de la nature, prolongé pendant des siècles, avait doté leur patrie.

Certes, le commerce des bois peut être un précieux auxiliaire de l’agriculture en déblayant pour les colons à venir nombre de plaines et de vallées fertiles destinées à nourrir un jour des millions d’hommes. Mais pourquoi dénuder en même temps les coteaux rocheux des Laurentides, qui ne retiennent un peu d’humidité et de terre végétale que grâce aux racines qui pénètrent profondément dans leurs fissures ? Que deviendront la limpidité des lacs, la régularité du débit des rivières, lorsque les pluies ne seront plus tamisées par le terreau des forêts ? Dans une région où sous la latitude de la France centrale, à trois ou quatre cents mètres à peine au-dessus du niveau des mers, le mercure arrive presque chaque hiver à se figer dans les thermomètres, combien ne faudra-t-il point de siècles pour réparer ce que l’homme détruit en quelques années ? Et ce n’est pas seulement l’exploitation à outrance qui menace les pauvres vieilles forêts : le feu, allumé par imprudence ou désœuvrement, est pour elles un ennemi plus redoutable encore que la cognée. Le seul incendie de 1870 a dévoré plus de bois dans la vallée de l’Outaouais que la hache du bûcheron n’en a fait disparaître en bien des années. Rien de plus hideux que ces squelettes décharnés et demi-carbonisés de grands arbres qui recouvrent à perte de vue les plaines et les versants dévastés par la flamme. Les printemps se succèdent sans presque rien changer à la sinistre physionomie de ces immenses espaces que le bûcheron canadien appelle des « brûlés ». À la longue, une maigre végétation d’essences presque toujours inférieures à celles qui ont disparu reprend lentement possession du sol calciné ; mais longtemps encore après que celui-ci s’est tapissé d’une verdure nouvelle, le regard reste attristé par l’aspect des grands troncs morts qui se dressent au-dessus de leurs chétifs remplaçants.

La Chaudière en hiver. — Dessin de J. Moynel, d’après une photographie.

Comment s’étonner si, en présence de cet effrayant gaspillage, simple imitation, d’ailleurs, de ce qui se fait aux États-Unis, quelques hommes de bon sens ont commencé à jeter le cri d’alarme ?

Du train dont nous allons, s’écriait récemment l’un d’eux, nos superbes forêts seront avant longtemps dépouillées de nos meilleures espèces de conifères. Déjà, pour obtenir des bois de mâture, on est obligé d’aller en abattre à trois cents milles d’Otta-