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Elles n’ont pas grand goût, ces fraises, et sont tout juste mûres, elles sont présentées d’une façon si avenante ! Nous les payons généreusement.

À midi nous arrivons à Mogué, sur le bord de la mer. Le rivage est couvert de bateaux de pêche, tirés avec Le plus grand soin sur le sable. C’est aujourd’hui fête et les pêcheurs et reposent où du moins ne travaillent pas. Ils font des joutes, des régates. Nous voyons des embarcations bondées de monde se poursuivre, mais sans grand entrain. Nous verrons mieux en Corée.

UNE STATION SUR LES BORDS DU PEÏ-HO[1] (PAGE 180).

Mignard s’était chargé du déjeuner. Il fouille le garde-manger de l’auberge, découvre quelques langoustes et nous promet une mayonnaise soignée. Hélas ! il ne peut trouver d’autre huile que celle qui sert à alimenter les lampes, et dont les indigènes, de même que les Chinois, sont très friands. Ils La nomment huile odorante, nous lui donnerions volontiers le nom contraire : question de goût.

Comme cuisiniers, les Japonais sont loin de valoir les Chinois. Mignard le sait et nous quitte sous prétexte d’aller aider la cuisinière. Il est fort gai, Mignard, et à en juger par les éclats de rire que l’on entend partir de la cuisine, je crains bien que le déjeuner ne soit pas préparé avec assez de sérieux.

Enfin nous nous mettons à table. Tout est très propre, les mousmés qui nous servent sont avenantes, le paysage est ravissant, qu’importe le reste ! C’est égal, si jamais je voyage encore avec Mignard, il ne s’occupera de la cuisine que lorsque la cuisinière sera du même sexe que lui.

Nous rentrons à Nagasaki par le même chemin, et à 5 heures 1/2 nous sommes à bord du Tokio-Maru. Le capitaine est sur le pont et nous affirme que nous patirons à 6 heures. Il avait compté sans l’inexactitude orientale.

À 6 heures, il n’avait pas encore ses papiers. À 7 heures, il se promenait sur le pont, murmurant des paroles probablement fort dures pour ceux qui les retenaient, À 8 heures, nous étions tous au même diapason. À 9 heures, c’était un concert d’imprécations contre la compagnie, lorsqu’une embarcation accoste. Un tout petit bonhomme, coiffé d’une casquette à galons d’or, monte d’un air enjoué, remet les papiers au capitaine, et, avec cet accent particulier qu’ont les Japonais quand ils parlent une langue étrangère, s’en va en nous souhaitant en anglais une bonne traversée,

Notre colère s’était évanouie : deux minutes après, nous étions en route.

Le Tokio-Maru est beaucoup moins luxueux que le Kobe-Maru, mais par un gros temps c’est sur lui que je préférerais me trouver. Il est moins large et doit mieux tenir la mer. Il ne jauge que 1360 tonneaux.

Le capitaine Kenderdine, qui le commande, est un homme très doux. Dans ce voyage, il à avec lui ses deux petites filles, qui vont prendre un peu l’air de la mer. Mais comme il faut quelqu’un pour avoir soin d’elles et que les règlements japonais n’autorisent pas les femmes des officiers à monter sur le bateau que commande leur mari, le capitaine a emmené sa belle-mère. L’aimable dame nous annonce elle-même la chose très gaîment et ajoute que cela ne doit pas nous effrayer, car elle est dans les meilleurs termes avec son gendre, avec lequel elle a déjà fait de nombreuses traversées.

Ces déclarations faites avec humour brisent la glace des premiers moments, et nous commençons une vie de famille qui va durer une dizaine de jours.

Avec M. Startseff et nous, il n’y a, comme passagers, qu’une dame russe allant à Vladivostok.

Cependant M. Startseff n’a pas perdu son temps à Nagasaki, il a fait des acquisitions pour son île. Il nous montre entre autres choses un ravissant petit coq blanc et sa poule. Il a payé les deux bêtes dix piastres. C’est un prix énorme, mais quand il s’agit de meubler ou de peupler l’île Poutiatine, rien n’est trop beau, rien n’est trop cher. Il a également acheté deux serins, un mâle et une femelle. Je me demande si le climat ne sera pas trop rude pour ces deux exilés des îles Canaries.

  1. Dessin de Th. Weber, gravé par Privat.