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la population, dure à la fatigue, est minée par deux choses : les exactions des mandarins, d’une part, et Le discrédit attaché aux travaux manuels de l’autre. L’ouvrier coréen qui travaille dans son pays n’est jamais sûr de recevoir la totalité de sa paye, et s’il la reçoit, il aura à en verser une bonne partie aux mandarins petits et grands, sous une forme ou sous une autre. Il sera en outre considéré avec mépris par tout ce qui tient un pinceau, la plume de l’Extrême-Orient.

Au contraire, dans le gouvernement de Vladivostok les Coréens sont bien traités, bien payés pour leur labeur. Aussi en voit-on un grand nombre dans la ville, occupés au chargement et déchargement des navires, au transport des marchandises dans les rues et à tous les travaux de portefaix. Nous en avons rencontré jusque dans les environs de Tchita, la capitale de la Transbaïkalie, habillés à la russe, vivant au milieu des Cosaques et semblant presque avoir renoncé à leur nationalité.

À 6 heures, nous mouillons dans la rade de Yuene-Sane, qui se trouve à l’entrée de la baie de Port Lazareff, à une assez grande distance du rivage. Je profite de l’embarcation de la douane pour descendre à terre, M. Startseff m’accompagne. Il est anxieux d’avoir des nouvelles de son bateau : il en reçoit de bonnes.

Le directeur de la douane est un Suédois, Oisen, que je connais depuis de nombreuses années. Naturellement nous devons déjeuner et dîner chez lui. J’accepte avec plaisir, et pendant que M. Startseff m’entraîne pour fouiller les boutiques, Oisen se dirige vers le Tokio-Maru pour aller chercher Mme Vapereau. Le vent est fort ; il souffle du large, et la mer est agitée. Les deux passagers, un peu mouillés par les embruns, sont heureux de sentir la terre sous leurs pieds.

La maison du directeur de la douane est la dernière du village ; plus loin ce sont des cultures, puis des montagnes élevées.

Le pays est, paraît-il, infesté de tigres, et la nuit on ne sort jamais sans lanterne. Le terrible animal visite souvent les habitations. Il rôde autour des étables, des maisons, et malheur aux gens, aux bestiaux qui ne sont pas bien enfermés. Oisen m’a assuré avoir entendu à plusieurs reprises le tigre, la nuit, sous sa véranda, renifler et gratter à sa porte. On trouvait le matin la trace de ses pas. Pendant la journée il ne s’aventure pas dans la ville. Nous pouvons donc, sans crainte de le voir apparaître, nous mettre à table, car on annonce que le déjeuner est servi.

MANDARIN CORÉEN[1] (PAGE 193).

Les huîtres de Yuene-Sane sont très renommées. Il n’y a pas d’r dans le mois, mais on nous assure que, dans ces pays très froids, les huîtres se mangent en toute saison. Nous nous risquons et nous nous en trouvons fort bien. Elles ne valent pas cependant nos marennes où nos cancales. J’en dirai autant des poissons, qui dans l’Extrême-Orient sont bien inférieurs à ceux d’Europe.

Pendant l’été, Oisen tire ses provisions de Vladivostok. Mais lorsque la navigation cesse, à l’hiver, il lui faut vivre sur le pays et manger du poulet deux fois par jour !

Séoul, la capitale de la Corée, est à 150 kilomètres, c’est-à-dire à six jours de marche. Si l’on met aussi longtemps à franchir cette petite distance, c’est parce que par peur du tigre, on s’arrête dès que le jour baisse.

Nous allons nous promener dans la direction du village coréen. Je prends mon appareil, qu’un indigène consent à porter sur un crochet dans le genre de ceux de nos commissionnaires.

  1. Gravure de Rousseau, d’après une photographie de M. Piry.