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fortunez. Entreprise I.


excuſe de leurs extrauagances. Elle gratifie ſon aiſe d’imaginations, eſtimant qu’on luy veut du bien, puis auſſi toſt elle ſe rauiſe & croid qu’elle ſe trompe, & que ce n’eſt pas Amour qui occupe ſon object ; Mais en fin, eſprouuant au vif les pointes qui l’inquiettent, elle ſ’abandonne au conquerant abſolut des cœurs, & delibere ſi elle peut de faire amitié auec le Fortuné. Quelques iours auoyent paſſé depuis la premiere atteinte, meſmes ils ſ’eſtoyent entre-veus à la Fontaine, & elle plus reſpectueuſe que de couftume, l’auoit veu d’vn œil, qui pourtant n’oſoit rien declarer que par des elancemens languiſſans qui ſuppliēt. Elle qui penſe deuoir eſtre aymee ſ’eſtonne qu’il ne lui fait quelque demonſtration d’amour, veu qu’il peut auoir remarqué ſes requeſtes oculaires, mais le malheur pour ceſte amante, il n’auoit pas alors l’eſprit d’intelligence amoureuſe à ſon ſujet. Il eſt vray que par temps & les actions, il ſ’apperceut bien de l’alteration de l’ame de la Fee, qui n’auoit pas l’humeur brillante comme parauāt, eſtoit moins familiere en diſcours, plus reſpectueuſe en conuerſation, nō tant aſſeuree en approches, ayant l’eſprit comme empeſché. Elle de ſon coſté fait les excuſes de Caualiree qui ne parle gueres à elle, & elle ſe veut faire croire que pourtāt il l’aime : mais qu’il ne luy oſe dire, craignant de troubler ſon vœu de fille, ſi elle en a fait ainſi que par auēture il le penſe. Ces petites penſees luy fourniſſent des ombres de contentement, mais elles ſ’eſcoulēt trop viſte, & l’attirent peu s’en faut au deſeſpoir, iugeant par l’effet, qu’il ne penſe point en elle, tou-