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Le uoyage des Princes


iouïſſance d’vn ſujet accomply, tu ne me viendrois pas tourmenter, & ne taſcherois à me faire dedaigner ce qui m’eſt ſi precieux, mais ie te pardonne pour autant que tu m’aymes. La Fee. Il eſt vray que ie vous ayme, & pource auſſi (car il y va de voſtre vie) ie vous repreſenteray la difference qu’il y a de ſe mignarder en vne paſſion ingrate, ou ſauourer l’excellence, de la grandeur qu’on ne doit iamais maculer : c’eſt vn contentement d’eſprit incomprehenſible, vne lieſſe nō meſurable, d’aymer & eſtre aymé ſelon toutes les qualitez qu’il vous plaira, ie le veux, ie l’accorde, & eſt non ſeulement en penſee vne extreme lieſſe, mais auſſi en effet vn ſouuerain bien. Si eſt-ce qu’il y a bien à dire, entre ceſte nuagere & & friuole delectation, & la ſolide iouiſſance d’vn grand eſtat, & la vie : les appetits voluptueux ceſſent ſi les commoditez temporelles periſſent : mais les ſolides eſtabliſſemens de ce qui nous fait eſtre, demeurent, & les amours ſ’exalent, ils ſont vapeurs agreables & paſſageres. Les eſtats, les biens & le viure, ſont neceſſitez & ſubſtances fermes & arreſtees, quand nous les tenons : Cela eſt beau, magnifique & d’eſtime, d’eſtre recognu grand, vaillant, iuſte & amant ; mais il eſt bien plus excellent, fructueux & honorable, d’eſtre & ſe monſtrer ce que l’on doit eſtre, magnanime, ſage & viuant, pour ſe conſeruer en ſa ſplendeur, pour ſe rendre redoutable aux ennemis, & profitable aux ſiens : Il y a vne grande diſtance entre ſe maintenir en ſon deuoir, & à ſe laifſer deceuoir ſous ombre de quelques deſirs inſolens. Ne penſez vous point que vous vous aneantiſſiez vous


meſme ?