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Le uoyage des Princes


uant : toutesfois voulant que ſa valeur fuſt plus recognuë que ſa paſſion, fit publier par tout qu’il auoit exilé les Fortunez pour quelque ſecrette entrepriſe qu’ils auoient machinee. Les Fortunez ſeparez lamenteront en leur fortune tant que ils pourront. Canaliree ne fut pas ſi-toſt en l’iſle des Lyons, qu’il en vid venir deux qui pourtant trauerſerent, dont il demeura eſtonné : Il eſt vray qu’il auoit plus d’aſſeurance que de force, & ce qui luy ſeruit ſur tout, fut qu’il cognoiſſoit la Lyonnee, herbe qui a telle vertu entre ſes autres proprietez que ſi le Lyon la treuue & ſent, & qu’il n’y ayt aucun homme en ce lieu là, il s’en delectera infiniment, & ſe veautrera deſſus, de menant grand ioye. Que s’il y a quelque perſonne là aupres, ou qui en ayt ſur ſoy, il aduiendra par vne antipatie & ſecrette puiſſance contraire, que le Lyon s’eſpouuantera & la fuyra comme la mort & s’en reculera de plus de ſix toiſes : ceſte plante eſt vne eſpece de lumaire dont la fueille eſt decoupee, vermeille & en ouale, aucuns ont adnancé qu’elle auoit la figure de creſte de coq, & de là eſt ſortie la flouette opinion que l’on a de la crainte du Lyon par la presence du coq, Caualiree accueillit de ceſte herbe & s’alla loger ſous vn grand cheſne creux, qui depuis fut ſa demeure, tant qu’il fut en ce pays là où il viuoit de racines, ſe proumenant par l’iſle pour trouuer moyen de s’en retirer par art ou par fortune. En ceſte occupation il aduiſa au clair du iour qu’il y auoit de la terre non trop loing, & eſtimant que ce fuſt le continent, il aſſembla le mieux qu’il peuſt des pieces d’arbres, des eſcorces & de la mouſſe, &