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fortunez. Entreprise II.


de grāds loups pres à ſauter ſur ce beau ſein pour luy trancher l’organe de la vie, elle fantaſioit à l’auenement des tenebres vn grand ours qu’elle cuide apperceuoir venir à pas peſans pour l’ēuahir, & l’ouurant ſe raſſaſier de ſon cœur, elle ſe propoſe en frayeur, vne once qui ſaillie ſur elle, luy efface ceſte belle figure de regard, où eſtoiēt autrefois deſignees toutes les entrepriſes d’Amour. En ces melācholies & accez de deſeſpoirs, il luy ſuruint vne petite grace (le ciel ne dōne pas touſiours tout d’vn coup ce qui nous eſt neceſſaire) ſes pieds ſe coulerēt d’entre les replis de la corde qui les enlaçoit, parquoi elle ſe leua & prenant vn petit de courage, ſe mit à cheminer à l’auanture, traçant dans le bois où elle pouuoit, ne ſçachant ſi elle fuioit le danger ou ſi elle ſ’en approchoit, & ſoy-meſme ſ’expoſant à nouuelle auanture, alloit broſſant de tout ſon pouuoir, iuſques à ce que les ombres ſ’vnirent, & que ne voyant plus elle ſe reſolut d’enſeuelir le reſte de ſon eſpoir, & ſe preparer à la mort. Au tēps meſmes que les tenebres auoiēt tout derobé le viſage du möde, & que ceſte gemiſſante eſtoit à l’extre mité de ſes penſees, qui ſ’accordoient à laiſſer ſa derniere voix, ſa vie & ſa miſere en ce lieu, par vn ſignalé bon-heur, il paſſa par là aupres des voyageurs eſtrangers, qui venoiēt, les vns de leur trafiq, & les autres de leurs deſſeins curieux, & affaires diuerſes. Ces gens coſtoyoiēt les bois, & ſ’entretenans de diſcours, comme font ceux qui vont par païs, & taſchēt à gaigner le giſte au ſoir, il y en eut vn qui eſtoit demeuré derriere, ſ’eſtāt vn petit deſuoié dās le bois, qui ſe mit à appeller,


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