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LE VIOLONEUX DE LA SAPINIÈRE

CHAPITRE XV

La petite Anne a la recherche d'un livre amusant.

La petite Anne se trouva bien embarrassée, lorsque, après le repas de midi, son père sorti, ses devoirs faits et ses leçons apprises, elle grimpa sur une chaise devant sa bibliothèque et s'occupa de chercher un livre pour Emmanuel. Anne était par nature une âme dévouée : il ne lui vint pas un instant à l'esprit l'idée de porter au prisonnier les livres qu'elle aimait, ceux qui la faisaient pleurer ou ceux qui la faisaient rire. Elle sentait très-bien qu'un livre amusant pour une petite fille de neuf ans peut ne l'être pas du tout pour un collégien de treize. Elle laissa donc de côté les Mémoires d'une poupée, les Contes du chanoine Schmid, Cendrillon et le Petit Poucet, et alla droit à la planche supérieure, où Mlle  Léonide avait rangé un certain nombre de volumes en lui disant : « Tu les liras quand tu seras plus grande. » Elle les prit l'un après l'autre et se mit à les parcourir en se demandant à chaque page : « Si j'étais un grand garçon comme Emmanuel, est-ce que cela m'amuserait?» et elle faisait dans sa petite cervelle des efforts inouïs pour découvrir quelles histoires elle pourrait aimer dans ce cas-là. Elle mit de côté avec un soupir plusieurs volumes scientifiques auxquels elle ne comprit absolument rien; puis des livres de morale où l'on prouvait par des exemples qu'il ne faut ni mentir, ni voler, ni faire (le mal à personne. Anne jugea que, puisqu'elle savait cela sans l'avoir appris dans un livre, Emmanuel devait le savoir aussi puis, des histoires de rois, qui se ressemblaient tellement qu'on eût juré que c'était toujours le même puis, des récits de voyages en mer hérissés de calculs qui lui firent l'effet de quelque sorcellerie. Enfin elle s'arrêta à un très-vieux livre, relié en veau, avec une tranche rouge. De distance en distance !! s'y trouvait de petites gravures qui représentaient les principales actions des personnages. Anne ne pouvait pas tout lire sur la page de gauche s'étalaient des caractères inconnus mais sur la page de droite il y avait du français, et ce français lui parut si beau, qu'après avoir ouvert le volume au hasard, elle continua, revint en arrière, et finit par le parcourir tout entier, mettant à chaque instant entre les pages de petits papiers pour marquer les endroits qui lui plaisaient le mieux. Elle descendit enfin de sa chaise, cacha le vieux livre sous son tablier, et courut tout d'un trait jusqu'à la grange de M. Arnaudeau.

« Ah vous voilà, Anne ! tant mieux lui dit Emmanuel, quand elle entr'ouvrit discrètement la porte et se glissa dans la prison. Vous êtes bien gentille d'être revenue. Je ne peux plus dormir, et je commençais à m'ennuyer. Si seulement j'avais mes billes! j'aurais fait une partie tout seul. Qu'apportez-vous là?

Un livre très-amusant vous allez voir!

Savez-vous lire, Anne?

Si je sais lire? ce serait joli, à mon âge, de ne pas savoir lire. Tenez, je vais lire tout haut pour vous montrer.

C'est cela j'entendrai l'histoire et je n'aurai pas la peine de lire. Vous arrangez très-bien les choses, Anne.