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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/122

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d’oppositions, non plus celle des fils de Jacob et des étrangers, mais des justes et des injustes, au sein de leur propre nation.

Mais on doit y regarder de près avant d’admettre l’hypothèse d’une transformation complète du judaïsme d’après l’ambiance de ce temps. Non seulement Israël n’a pas renoncé à régner sur ses vieux ennemis ; il entrevoit sérieusement le gouvernement du monde. Et quant à l’idée du monde, il n’avait pas attendu Alexandre pour la concevoir, puisque le ciel et la terre avaient été créés par Dieu et peuplés par lui de nations, filles d’un seul ancêtre. En vertu du choix spécial de Dieu, il se dressait toujours seul contre elles toutes. A vrai dire une dissension intestine avait créé des haines inexpiables entre les fidèles et les apostats. Mais elle était née en Judée de la persécution d’Antiochus Épiphane, d’un fait domestique et concret, non de considérations spéculatives sur le Juste et l’Injuste : ce qui s’affrontait c’était toujours le Dieu d’Israël et sa loi d’une part, et d’autre part les dieux étrangers et leur culte abhorré. Le nationalisme, un moment ébranlé, était sorti vainqueur de ce corps à corps. Lorsqu’on avance que l’ancienne prophétie a pour horizon Israël, et l’apocalypse le monde entier, cela n’est vrai que d’une extension de l’horizon politique, cela ne signifie nullement que pour un Juif le cosmos remplace décidément la cité dans ses préoccupations spéculatives, ni qu’il aspire à devenir citoyen du monde. Philon le dira pour plaire aux Alexandrins : les apocalypses n’ont pas eu recours à cette précaution oratoire.

Il nous est donc impossible de découvrir dans l’apocalyptique un esprit cosmopolite. Il est incontestable cependant que, parallèlement à l’hellénisme, les voyants avaient un horizon plus étendu que celui des prophètes. Quelques critiques[1] ont rédigé cette transformation en une série d’antithèses :

Le prophétisme rappelait sans cesse Iahvé, Dieu, et même Père d’Israël ; – le voyant se complaira dans la conception du Dieu du monde, transcendant, presque inaccessible.

Le prophétisme ne songeait qu’aux destinées d’Israël ; le voyant envisage le monde comme un tout.

Aussi les prophètes menaçaient du jugement Israël et ses ennemis ; — le voyant convoque tous les peuples au jugement général.

Le prophète mettait en présence Israël et ses ennemis nationaux ; — le voyant prêche la guerre contre les ennemis de Dieu.

Le prophète annonçait le règne temporel du Messie ; — le voyant pense surtout au bonheur de l’au-delà.

Les premiers traits sont exacts, mais la dernière antithèse a ses

  1. Baldensperger, Bousset, etc.