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Page:Le judaïsme avant Jésus-Christ.pdf/123

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difficultés. Le messianisme terrestre a-t-il donc disparu, pour être remplacé par la vie future ? Le Messie aura-t-il désormais quelque influence dans l’au-delà ?

M. Baldensperger, — un théologien protestant qui s’est beaucoup occupé de l’apocalyptique, — a essayé de résoudre ces questions par une formule : L’apocalyptique serait « l’attente messianique détachée de l’idéal terrestre politique et élevée à l’ordre surnaturel[1] ».

Deux tableaux.

Le héros de l’ancienne prophétie est Israël, et le thème du messianisme est sa délivrance des ennemis qui l’ont subjugué. Ces ennemis seront anéantis par le jugement de Iahvé qui rassemblera son peuple dispersé et lui fera goûter dans la Terre-Sainte, à Jérusalem, auprès du Temple, plus glorieux que jamais, un bonheur éternel. Le Messie sera l’agent de toutes ces merveilles.

Dans l’apocalyptique on voit au premier rang l’homme, placé dans le Cosmos pour pratiquer la vertu. Les ennemis des gens pieux sont des méchants. Le jugement de Dieu s’exercera sur le monde en faveur des justes qui jouiront de l’immortalité et de la résurrection. Les biens de l’au-delà sont promis non plus dans Jérusalem, mais dans le ciel.

Il n’est pas douteux qu’on puisse construire le second tableau. Mais qu’y fait le Messie ? Il n’y fait rien. Qu’en est-il d’Israël ? On n’en parle pas. Nous concédons que quelques fragments d’apocalypses en sont là. Nous les avons qualifiés : eschatologie cosmique transcendante sans Messie[2].

A eux ne s’applique pas la définition de M. Baldensperger : « l’attente messianique » n’y figure même pas. Si ailleurs le Messie paraît, le même dont parlaient l’ancienne prophétie et les psaumes, il est engagé dans la prospérité temporelle et nationale d’Israël. Si la scène est vraiment transportée dans l’au-delà, on voit bien paraître un fils de l’homme ou plutôt un Élu comme juge[3], mais qui n’a rien fait pour le salut des hommes. Si l’apocalyptique avait donné sur ce point capital une solution ferme, en interprétant l’ancienne prophétie dans un sens uniquement moral et religieux, en substituant le salut éternel des justes au bonheur temporel des Israélites, en identifiant le fils de l’homme de Daniel avec le Messie, fils de David, elle aurait abandonné le terrain du judaïsme ; elle ne serait pas seulement un acheminement vers le christianisme, elle serait le christianisme prophétisé.

Or elle n’a fait aucun pas utile au delà du judaïsme ; elle n’a pas même montré la voie.

  1. Die messianisch-apokalyptischen Hoffnungen des Judenthums, 3e éd., p. 173.
  2. Le Messianisme…, p. 63.
  3. Nous montrerons plus loin que le Fils de l’homme des Paraboles d’Hénoch est une interpolation chrétienne.