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les clefs du destin
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tête baissée et tenait son glaive dans le fourreau. Et quand il fut entre les mains du sultan Môhammad ben-Theiloun, il embrassa la terre et dit : « Ô notre maître et la couronne sur notre tête, voici que le jour de la justice va luire enfin pour l’esclave exécuteur de ta justice ! Ô mon seigneur, ô roi du temps, depuis la mort de ton défunt père, le sultan Theiloun — qu’Allah l’ait en Sa miséricorde — j’ai vu chaque jour diminuer les occupations de ma charge et disparaître les profits que j’en tirais. Et ma vie, qui était jadis heureuse, s’écoule maintenant morne et inutile. Et si l’Égypte continue de la sorte à jouir de la tranquillité et de l’abondance, je cours grand risque de mourir de faim, en ne laissant même pas de quoi m’acheter un linceul — qu’Allah prolonge la vie de notre maître ! »

Lorsque le sultan Môhammad ben-Theiloun eut entendu ces paroles de son porte-glaive, il réfléchit pendant un bon moment, et reconnut que ses plaintes étaient justifiées, car les plus gros profits de sa charge lui venaient, non de sa paie qui était peu considérable, mais de ce qu’il tirait, en dons ou en héritages, de ceux qu’il exécutait. Et il s’écria ; « Nous venons d’Allah et vers Lui nous retournerons ! Il est donc bien vrai que le bonheur de tous est une illusion, et que ce qui fait la joie de l’un peut faire couler les larmes de l’autre ! Ô porte-glaive, tranquillise ton âme et rafraîchis tes yeux, car désormais, pour t’aider à vivre, maintenant que tes fonctions ne sont guère rétribuées, tu recevras chaque année deux cents dinars d’émoluments ! Et fasse Allah que, durant tout mon règne, ton glaive reste aussi inutile