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les clefs du destin
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joie et les fêtes que donnait tous les jours mon maître, j’avais le corps affligé de douleurs et l’âme malheureuse. Et je n’arrivais même pas à supporter le poids ni le contact des riches habits et des étoffes précieuses dont il me forçait à me couvrir. Et l’on me servait les mets les plus délicats et les boissons les plus délicieuses, mais c’était bien en vain, car je n’éprouvais que du dégoût et de la répugnance pour tout. Et j’avais des appartements superbes, et des lits de bois odorant, et des divans de pourpre, mais le sommeil ne fermait pas mes yeux. Et les jardins de notre palais, rafraîchis par la brise du Nil, étaient plantés des arbres les plus rares amenés à grands frais de l’Inde, de la Perse, de la Chine et des Iles ; et des machines construites avec art élevaient l’eau du Nil et la faisaient retomber en gerbes rafraîchissantes dans des bassins de marbre et de porphyre ; mais je ne goûtais aucun charme à toutes ces choses, car un poison sans antidote avait saturé ma chair et mon esprit.

Quant à mon maître le Bédouin, ses jours coulaient au sein des plaisirs et des voluptés, et ses nuits étaient une anticipation des joies du Paradis. Et il habitait, non loin de moi, dans un pavillon tendu d’étoffes de soie brochées d’or, où la lumière était douce comme celle de la lune. Et ce pavillon était au milieu des bosquets d’orangers et de citronniers auxquels se mêlaient les jasmins et les roses. Et c’est là que chaque nuit il recevait de nouveaux convives qu’il traitait magnifiquement. Et quand leurs cœurs et leurs sens étaient préparés à la volupté, par les vins exquis et par la musique et les chants, il faisait