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le diwân des facéties… (le baudet kâdi)
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celé, et que, de temps à autre, il se transforme en kâdi ! » Et le collecteur, entendant cela, s’écria : « Ya Allah ! » Mais la jeune femme, sans lui laisser le temps de pousser d’autres exclamations, ni de réfléchir, ni de parler, continua sur le même ton d’assurance tranquille : « En effet, la première fois que je vis tout d’un coup sortir de l’étable un homme inconnu que je n’avais point vu y entrer, et que je n’avais jamais aperçu auparavant, j’ai eu une peur effroyable et, lui tournant le dos et me couvrant vivement le visage du bas de ma robe que je relevai, n’ayant point de voile à ce moment sur la tête, je voulus livrer mes jambes au vent et chercher la sécurité dans la fuite, puisque tu étais absent de la maison. Mais l’homme s’approcha de moi, et me dit d’une voix pleine de gravité et de bonté, sans lever ses yeux vers moi, par crainte d’offusquer ma pudeur : « Tranquillise ton âme, ma fille, et rafraîchis tes yeux ! Je ne suis point pour toi un inconnu, puisque je suis le baudet du fils de ton oncle ! Mais, de ma nature réelle, je suis un être humain, kâdi de ma profession. Et j’ai été transformé en baudet par des ennemis que j’ai, qui sont versés dans la sorcellerie et les enchantements. Et, comme je ne connais pas leurs sciences occultes, je me trouve sans recours et sans armes contre eux. Mais comme ils sont tout de même des Croyants, ils permettent que de temps en temps, aux jours des séances de justice, je reprenne ma forme humaine, de baudet que j’étais, pour aller tenir audience dans le diwân. Et je dois vivre de la sorte, tantôt baudet et tantôt kâdi, jusqu’à ce qu’Allah Très-Haut veuille bien me délivrer des