Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 12, trad Mardrus, 1903.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
le diwân des facéties… (le baudet kâdi)
227

faire quelque communication urgente de la part du wali. Et il se leva à l’instant, en suspendant la séance de justice, et suivit, dans le vestibule, le collecteur qui, pour mieux l’amorcer, marchait devant, en lui montrant les fèves et en l’encourageant du geste et de la voix, comme on fait pour les baudets.

Or, dès qu’ils furent tous deux dans le vestibule, le collecteur se pencha à l’oreille du kâdi et lui dit : « Par Allah, ô mon ami, je suis bien contrarié et bien peiné et bien fâché de la sorcellerie qui te tient enchanté. Et, certes, ce n’est pas pour te contrarier que je viens ici te chercher, mais il faut absolument que je parte tout de suite pour mon service, et je ne puis attendre que tu finisses ta journée ici. Je te prie donc de te transformer sans retard en baudet, et de me laisser monter sur ton dos ! » Et, voyant que le kâdi reculait avec effroi à mesure qu’il l’entendait, le collecteur prit un ton de grande commisération, et ajouta : « Je te jure par le Prophète — sur Lui la prière et la paix ! — que si tu veux me suivre tout de suite, jamais plus je ne te piquerai le derrière avec l’aiguillon, car je sais que tu es fort sensible et fort délicat quant à cette partie-là de ta personne ! Allons, viens, mon cher baudet, mon bon ami ! Et tu auras, ce soir, une double ration de fèves et de luzerne fraîche ! »

Tout cela ! Et le kâdi, croyant avoir affaire à quelque fou échappé du maristân reculait de plus en plus vers l’entrée de la salle, au comble de la stupéfaction et de la terreur, et devenu plus jaune que le safran. Mais le collecteur, voyant qu’il allait lui échapper, exécuta une volte rapide et se mit entre