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le diwân des facéties… (le kâdi et l’ânon)
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l’enfermé, de ma propre main, devant les témoins ; et, dans le second cas, j’étranglerai les deux avec mes dix doigts ! »

Et, réfléchissant ainsi et se répétant dans sa cervelle ces projets de vengeance, il se mit à arrêter, à tour de rôle, les baigneuses qui entraient au hammam, en disant à chacune d’elles : « Par Allah sur toi ! tu diras à ma femme une telle, de sortir sur l’heure, car j’ai besoin de lui parler ! » Mais il leur disait ces paroles avec tant de brusquerie et d’excitation, et il avait les yeux si flamboyants, et le teint si jaune, et les gestes si désordonnés, et la voix si tremblante, et l’air empreint de tant de fureur, que les femmes, terrifiées, se sauvaient en poussant des cris aigus, le prenant pour un fou. Et la première d’entre elles qui fit tout haut la commission, au milieu de la salle du hammam, rappela soudain à la mémoire de l’adolescente, épouse du kâdi, le souvenir de sa négligence et de son oubli au sujet du mouchoir blanc laissé à la fenêtre. Et elle se dit : « Pour sûr ! je suis perdue sans recours ! Et Allah seul sait ce qui est arrivé à mon amoureux ! » Et elle se hâta de finir de prendre son bain, pendant que, dans la salle, les commissions des baigneuses qui entraient se succédaient rapidement et que son mari, le kâdi, devenait le seul sujet de conversation des femmes effarées. Mais, heureusement, aucune d’elles ne connaissait l’adolescente, qui d’ailleurs faisait semblant de ne point s’intéresser à ce qui se disait, tout comme si la chose ne la concernait pas. Et lorsqu’elle se fut habillée, elle alla dans la salle d’entrée où elle vit une pauvre marchande de pois chiches qui