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les mille nuits et une nuit

de jugements intéressés, qu’il avait été destitué de ses fonctions, et était obligé, pour ne pas mourir de faim, de vivre d’expédients. Or, un jour, il eut beau chercher dans sa tête, il ne trouva aucun moyen de faire quelque argent, car il avait épuisé toutes les ressources de son esprit comme il avait mis à sec celles de sa vie. Et, se voyant réduit à cette extrémité, il appela le seul esclave qui lui restait, et lui dit : « Ô un tel, je suis bien malade aujourd’hui, et ne puis sortir de la maison, mais, toi, tâche d’aller nous trouver quelque chose à manger, ou de m’envoyer quelques personnes en quête de consultations juridiques. Et je saurai bien leur faire payer ma peine ! » Et l’esclave, qui était un garnement aussi rompu que son maître dans les roueries et les expédients, et qui était aussi intéressé que lui dans la réussite du projet, sortit en se disant : « Je vais aller molester, l’un après l’autre, quelques passants et me prendre de dispute avec eux. Et, comme tout le monde ne sait pas que mon maître est destitué, je les entraînerai auprès de lui, sous prétexte de régler le différend, et je leur ferai vider leur ceinture entre ses mains ! » Et, pensant ainsi, il avisa un promeneur qui se trouvait devant lui, et qui marchait tranquillement avec son bâton appuyé des deux mains sur la nuque, et d’un croc-en-jambe adroit il l’envoya rouler dans la boue. Et le pauvre homme, les vêtements salis et les savates écorchées, se releva furieux avec l’intention de châtier son agresseur. Mais reconnaissant en lui l’esclave du kâdi, il ne voulut point se mesurer avec lui, et, tout penaud, se contenta de dire, en se retirant