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les mille nuits et une nuit

« Et vous, ô Maghrébins, quel est le sujet de votre plainte contre cet homme, fournier de sa profession ? » Et les Maghrébins, avec force gestes et un flot de paroles, exposèrent leur plainte, et montrèrent le corps inanimé de leur parent, en réclamant le prix du sang. Et le kâdi leur dit : « Certes, ô Maghrébins, le prix du sang vous est dû, car les preuves abondent contre le fournier. Ainsi, vous n’avez qu’à me dire si vous voulez que ce prix vous soit payé en nature, c’est-à-dire sang contre sang, ou en indemnité ! » Et les Maghrébins, fils d’une race féroce, répondirent en chœur : « En nature, ô seigneur kâdi ! » Et il leur dit : « Qu’il en soit donc ainsi ! Prenez ce fournier, entortillez-le dans les couvertures de votre parent mort, et placez-le sous le minaret de la mosquée du sultan Hassân. Et, cela fait, que le frère de la victime monte sur le minaret et se laisse tomber du sommet sur le fournier, pour l’écraser comme il a écrasé son frère ! » Et il ajouta : « Où donc es-tu, ô frère de la victime ? » Et un Maghrébin sortit d’entre les Maghrébins, à ces paroles, et s’écria : « Par Allah, ô seigneur kâdi, je me désiste de ma plainte contre cet homme ! Et Qu’Allah lui pardonne ! » Et il s’en alla, suivi des autres Maghrébins.

Et la foule, qui avait assisté à tous ces débats, se retira émerveillée de la science juridique du kâdi, de son esprit d’équité, de sa compétence et de sa finesse. Et le bruit de cette histoire étant arrivé jus- qu’aux oreilles du sultan, le kâdi rentra en grâce et fut replacé dans ses fonctions, tandis que celui qui l’avait remplacé se voyait destitué, sans avoir rien