Lorsque, ô roi fortuné, — continua le cultivateur qui avait apporté les concombres — le nouveau grand-vizir eut ordonné aux deux plaignants de parler, le premier dit : « Ô mon seigneur, j’ai une plainte contre cet homme ! » Et le vizir demanda : « Et quelle est ta plainte ? » Il dit : « Ô mon seigneur, j’ai là, en bas, à l’entrée du diwân, une vache avec son veau. Or, ce matin, j’allais avec eux à mon champ de luzerne pour les faire paître ; et ma vache marchait devant moi, et son veau la suivait en gambadant, lorsque je vis arriver de notre côté cet homme que voici, monté sur une jument qui était accompagnée de sa fille, une petite pouliche contrefaite et pitoyable, un avorton.
Or, mon petit veau, en voyant la pouliche, courut faire connaissance avec elle, et se mit à sauter autour d’elle et à la caresser sous le ventre avec son museau, à la renifler, à jouer avec elle de mille manières, tantôt en s’en éloignant pour ruer gentiment, et tantôt en lançant en l’air, avec ses petits sabots, les cailloux de la route.
Et soudain, ô mon seigneur, cet homme que voici, qui est un brutal, ce propriétaire de la jument, descendit de sa bête et s’approcha de mon veau le frétillant, le joli, et lui passa une corde autour du