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les mille nuits et une nuit

maître baigneur me jura qu’il n’avait jamais jusque-là reconnu cette maladie dans ce jeune serviteur. Et, pour me prouver son dire, il fit venir le jeune garçon en ma présence. Et il lui demanda : « Qu’est-il donc arrivé, que ce seigneur soit si mécontent de ton service ? » Et le jeune garçon, qui me parut revenu de son trouble, baissa la tête, puis, se tournant de mon côté, il me dit : « Ô mon maître, connais-tu l’auteur des vers que tu récitais pendant le bain ? » Et je répondis : « Par Allah ! c’est moi-même. » Et il me dit : « Alors tu es le poète Môhammad El-Dameschgy. Et tu as composé ces vers pour célébrer la naissance du fils d’El-Fadl le Barmakide.» Et il ajouta, tandis que je demeurais stupéfait : « Excuse-moi, ô mon maître, si, en t’écoutant, mon cœur s’est serré subitement et si je suis tombé accablé par l’émotion. Je suis moi-même ce fils d’El-Fadl dont tu as si magnifiquement chanté la naissance. » Et, de nouveau, il tomba évanoui à nos pieds.

Alors moi, ému de compassion devant une telle infortune, et voyant réduit à ce degré de misère le fils du généreux bienfaiteur à qui je devais tout ce que je possédais et même mon renom de poète, je relevai l’enfant et le serrai contre ma poitrine, et lui dis : « Ô fils de la plus généreuse des créatures d’Allah, je suis vieux et n’ai point d’héritiers. Viens avec moi devant le kâdi, ô mon enfant, car je veux dresser un acte par lequel je t’adopterai. Et je te laisserai ainsi tous mes biens après ma mort. »

Mais l’enfant barmakide me répondit en pleurant : « Qu’Allah répande sur toi Ses bénédictions, ô fils des hommes de bien ! Mais à Allah ne plaise