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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 6, trad Mardrus, 1901.djvu/87

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histoire de sindbad le marin
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félicité ! Il est dans les délices de ces odeurs charmantes, de ces fumets agréables, de ces mets savoureux, de ces boissons supérieurement délicieuses ! Il est heureux et dispos et bien content, alors que d’autres, moi par exemple, sont aux limites extrêmes de la fatigue et de la misère ! »

Puis le portefaix appuya sa main contre sa joue et, de toute sa voix, chanta ces vers, qu’il improvisait à mesure :

« Souvent un malheureux sans gîte se réveille à l’ombre d’un palais créé par son destin. Moi, je me réveille, hélas ! chaque matin plus misérable que la veille !

« Mon infortune augmente encore d’instant en instant avec le faix chargeant mon dos qui se fatigue, tandis qu’au sein des biens que le sort leur prodigue, d’autres sont heureux et contents !

« Le destin chargea-t-il jamais le dos d’un homme d’une charge pareille à celle de mon dos ?… Pourtant d’autres, gorgés d’honneurs et de repos, ne sont que mes pareils en somme.

« Ils ne sont que pareils à moi, mais c’est en vain : le sort entre eux et moi mit quelque différence, puisque je leur ressemble autant qu’amer et rance le vinaigre ressemble au vin.

« Mais si je n’ai jamais joui de ta largesse, ô Seigneur, ne crois point que je t’accuse en rien ! Tu es grand, magnanime et juste ! Et je sais bien que tu jugeas avec sagesse ! »

Lorsque Sindbad le Portefaix eut fini de chanter